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5 mai 2009 2 05 /05 /mai /2009 13:24
SUR LA MULTIPLICATION DES ORGANISMES ET SON RÔLE DANS LE MÉCANISME DE LA BIOSPHÈRE*


    PREMIERE PARTIE


I

   
A mesure que nous approfondissons l'étude de la Nature, la rôle planétaire de la vie se déroule devant nous, lentement et graduellement, mais avec une clarté toujours croissante.

    La vie se révèle à nous non comme un phénomène accidentel dans l'histoire de la Terre, mais comme un ressort indispensable du mécanisme de l'écorce terrestre, un phénomène qui caractérise l'une de ses enveloppes, la biosphère.

    La biosphère la région de la vie embrasse notre planète d'une façon continue. La vie règne sur toute la superficie de la Terre ; son travail chimique s'effectue partout sans nulle interruption depuis des billions d'années. Ce travail chimique détermine avec une intensité et une envergure toujours plus évidentes un courant d'éléments chimiques ininterrompu, inaltérable et soumis à des lois déterminées, courant qui circule entre la matière vivante et la matière brute et inversement.

    Cette enveloppe embrasse une superficie de 5,10065.108 km2 ; elle atteint une hauteur de plus de dix kilomètres dans l'enveloppe gazeuse inférieure de la planète, dans la troposphère ; elle pénètre tout l'océan mondial à une épaisseur moyenne de 3,7 km, et par places jusqu'à 10 km presque. La vie embrasse toute la terre ferme depuis les sommets d'une hauteur d'à peu près 8 km. jusqu'aux abîmes les plus profonds ; elle s'infiltre par endroits dans les fissures et les cavités à une profondeur de plus d'un kilomètre.

    Dans la biosphère, la vie est dispersée. Elle se concentre en de minces couches du sol, dans les forêts, les champs, les steppes, les bassins aqueux, le plancton marin, les boues du fond marin. Elle est plus intense et plus développée dans les amas de sargasses à la surface de l'océan, dans ses mers, ses bas-fonds, sur la frontière de l'océan et de la terre ferme, près des îles et des continents.

    La région de la vie, c'est l'enveloppe superficielle de notre planète ; cette enveloppe se trouve en contact avec l'espace cosmique. Elle en reçoit des rayonnements, principalement ceux du Soleil. Et ces rayonnements non seulement entretiennent tous les phénomènes de la vie, mais ils posent le fondement (avec l'aide des plantes vertes autotrophes – indépendantes dans leur nourriture du reste des êtres vivants) des immenses dépôts d'énergie chimique libre, tels que les composés organiques, qui forment le corps des organismes.

    Plus nous remontons dans l'histoire de notre planète, dans l'étude des éléments chimiques (géochimie), ou dans celle de leurs molécules et de leurs cristaux (minéralogie), plus la répercussion de la vie sous forme des composés organiques, créés par elle, devient claire et profonde.

    L'énergie renfermée dans ces composés n'est pas d'origine terrestre – elle est venue des espaces cosmiques –, mais la vie est le mécanisme terrestre qui l'introduit dans la chimie de la planète.

    Pour se rendre compte de la grandeur et de la puissance de cette énergie, il suffit de nous arrêter sur l'une de ses nombreuses manifestations. L'oxygène libre, qui se trouve dans notre planète sous forme de gaz ou sous forme de solution dans les eaux naturelles, est entièrement créé par la vie. Nous ne connaissons jusqu'à présent aucun cas où il se dégagerait par suite de quelque processus chimique terrestre, indépendant de la vie. Mais il existe des milliers d'autres processus dans lesquels l'oxygène libre est absorbé, introduit en de nouveaux composés, et par conséquent disparaît comme tel. Cependant, sa quantité dans la biosphère est constante, elle reste identique. C'est la conséquence du travail incessant des plantes vertes, et ce fait seul suffit pour donner une mesure de leur importance dans notre planète, pour donner une représentation de l'envergure de leur énergie géochimique.

    Nous connaissons la quantité d'oxygène libre de la biosphère ; c'est même une des constantes les plus précises de la planète. Elle est égale à : 1,5 quatrillions de tonnes, c'est-à-dire 1,5 X 1021 grammes.

    D'après nos connaissances sur la chimie de l'écorce terrestre, nous sommes obligés d'admettre que tout cet oxygène libre est créé par la matière vivante, et d'une façon ou d'une autre passe à travers elle dans le cours d'un temps géologique insignifiant.

    La formation de l'oxygène libre constitue un des innombrables processus bio-géo-chimiques de la vie. Nous savons que tout ce qui vit se trouve dans un état de changement perpétuel et produit incessamment du travail chimique. La matière vivante se détruit, se crée, se nourrit, respire, dégage et absorbe les corps les plus divers, forme de nouveaux composés dont les différentes formes s'élèvent à plusieurs millions. Et en même temps la quantité de matière englobée par la vie sur notre planète ne change pas, en apparence. On peut l'évaluer entre 1020 et 1021 grammes, soit en trillions et quatrillions de tonnes ; elle est du même ordre que la quantité de l'oxygène libre.

    Dans la masse générale de l'écorce terrestre (voisine de 2.1025 grammes), si nous prenons son épaisseur égale à 16 kilomètres, la quantité de matière englobée par la vie n'est qu'une partie insignifiante, – mais dans la masse générale de la biosphère son importance exprimée en pour cent devient extrêmement marquée. En moyenne, elle est égale à 1% du poids de la biosphère, au moins ; elle s'élève à plusieurs pour cent dans les endroits où se concentre la vie, par exemple dans le sol.

    Cette matière englobée par la vie – les organismes vivants – se distingue nettement de la matière brute par son caractère énergétique particulier. Elle se trouve en mouvement incessant, elle produit du travail, elle est riche en énergie libre. Cette matière se trouve à l'état actif, elle transforme tout autour de soi, comme la matière brute soumise à la désagrégation radioactive.

II

    En étudiant les manifestations de la vie dans le milieu ambiant à l'échelle planétaire, nous devons nous départir de l'aspect habituel sous lequel l'organisme se présente à notre esprit.

    Devant la grandeur de telles manifestations, l'organisme séparé perd de son importance ; il devient imperceptible. Seuls ses ensembles, ses masses peuvent être perçus et faire sentir leur influence.

    Ces ensembles se manifestent par les mêmes propriétés qui caractérisent les corps bruts prenant part aux processus de ce genre : roches solides, solutions aqueuses naturelles, masses gazeuses. Pour les masses vivantes aussi bien que pour les masses brutes, seuls le poids, le volume, les propriétés chimiques, l'énergie et les mouvements présentent de l'importance. On ne doit tenir compte que de ces propriétés de l'organisme, et rejeter hors du champ de la vision ce qui, depuis des siècles, a fait l'objet des études du biologiste : la morphologie, la physiologie de l'organisme, sa structure intérieure.

    Ces ensembles, ainsi caractérisés, nous apparaissent sous l'aspect de nouveaux corps naturels, particuliers à notre planète, que je nommerai dorénavant les matières vivantes.

    Les matières vivantes formées par les organismes d'une même espèce, de la même race, seront des matières vivantes homogènes ; celles qui se composent d'individus de races, et espèces différentes seront des matières vivantes hétérogènes.

    La Nature vivante, qui nous entoure, est une matière vivante hétérogène ; elle peut être décomposée en matières vivantes homogènes.

    Les organismes appartenant à une espèce ou une race, dispersés et répandus dans la Nature vivante, appartiennent tous à, une seule et même matière vivante homogène, où qu'ils se trouvent. Nous pouvons – additionnant leurs effets dans le milieu ambiant – considérer ces derniers comme la manifestation d'une seule et unique matière vivante homogène qui leur correspond, de même que nous les considérons comme la manifestation dans le milieu ambiant d'une seule espèce.

    On peut dire que la matière vivante homogène est une espèce (ou race) exprimée en poids, en composition chimique et en énergie, des individus dont l'espèce ou la race est formée. Les nombres qui caractérisent les propriétés d'une telle matière déterminent les caractères spécifiques de l'espèce ou de la race. Ce sont des constantes caractéristiques de l'espèce. Ils peuvent la caractériser avec la même précision que les caractères morphologiques ou physiologiques.

    Chaque espèce, végétale ou animale, exprimée de cette façon, se révèle dans l'écorce terrestre sous l'aspect d'une masse matérielle ou d'un volume avec des propriétés caractéristiques et déterminées. Ces masses de matière vivante entrent dans la structure de la biosphère absolument de la même façon que d'autres masses matérielles, telles que les roches, les agglomérations gazeuses ou liquides. Et elles peuvent être comparées avec ces dernières au point de vue de leur effet dans la biosphère, en particulier dans leurs manifestations géochimiques, c'est-à-dire dans les migrations des éléments chimiques dans l'écorce terrestre : translations, concentrations, passages de ces éléments d'un composé dans un autre.

    Comme les masses de gaz, d'eau naturelle ou de roches, la matière vivante effectue un échange incessant d'éléments avec le milieu ambiant. Le courant d'éléments chimiques qui caractérise cet échange est le phénomène essentiel dans l'histoire des éléments chimiques de la biosphère.

    Plus ce courant est fort et intense, plus l'énergie qui lui correspond, et dont il sert d'expression, est considérable.

    Ce sera toujours une énergie chimique. Sous l'aspect étudié, je l'appellerai énergie géochimique en tant qu'elle caractérise les migrations des éléments chimiques dans l'écorce terrestre.

    L'énergie géochimique d'une matière vivante homogène est toujours plus grande que l'énergie de n'importe quelle masse brute de la biosphère qui lui est égale. La matière vivante d'une moindre masse est toujours douée d'une plus grande énergie géochimique que les masses plus grandes de gaz naturel, d'eau naturelle, dénuée de vie, de roches, à la même température et pression.

    Cette diversité du caractère énergétique des matières vivantes et brutes détermine le rôle nettement différent qu'elles jouent dans l'existence de la biosphère.

III

    Il est clair que l'étude de l'énergie géochimique de la matière vivante est le problème essentiel pour la compréhension de la vie et de son rôle dans le Cosmos.

    Mais elle n'est pas évaluée habituellement et les notions qui lui correspondent n'ont pas pénétré la mentalité des naturalistes.

    Entre les trois manifestations principales de la matière vivante dans la biosphère – son poids (sa masse), sa composition chimique, son énergie – c'est l'énergie qui a le moins attiré la pensée scientifique.

    Il est évident que le poids de la matière vivante pourra être établi quand on connaîtra le nombre des individus qui la composent et le poids moyen de l'individu. Pareillement, la composition chimique moyenne de l'organisme pourra être facilement déterminée quantitativement pour leurs ensembles et exprimée en pour cent de poids ou d'atomes. Si nous avons peu de données de ce genre, ce n'est pas à cause de la difficulté de la solution du problème, mais du peu d'importance qu'on y attachait.

    Comment exprimer numériquement la manifestation de l’énergie de la matière vivante homogène dans la biosphère?

    Il est évident que les organismes par leur respiration, par leur nutrition, par le métabolisme interne de leur corps, influent sur les processus chimiques de la biosphère, sur la migration de ses éléments chimiques.

    Mais l'effet géochimique de ces processus, si même nous les exprimions en nombres pour tous les organismes terrestres, ne nous donnerait qu'une idée vague de l'énergie géochimique inhérente à la matière vivante, c'est-à-dire de la force propre à créer et à modifier la migration des éléments chimiques de la biosphère.

    Pour évaluer cette énergie, il est nécessaire de prendre en considération une propriété essentielle, toujours inhérente à l'organisme vivant, celle de la multiplication des organismes.

    L'idée de l'importance de ce phénomène pour la compréhension de la vie fut exprimée brillamment, il y a plus de 2 000 ans, avec une intuition géniale, par le grand philosophe grec Platon. Grâce au travail opiniâtre des naturalistes, on a amassé ici une immense quantité de faits, mais il existe peu de domaines de la Biologie où la pensée synthétique pénètre avec tant de lenteur, et où l'on accorde si peu d'attention à des phénomènes d'une importance si évidente. Des généralisations empiriques importantes, depuis longtemps acquises, n'y ont pas été comprises ni soumises à une analyse scientifique. En particulier, je ne connais pas un seul travail où ce phénomène de la multiplication des organismes soit examiné au point de vue de sa répercussion sur la nature brute ambiante. Les phénomènes de la multiplication sont même rarement soumis à l'analyse au point de vue purement biologique.

IV

    La multiplication des organismes est le mécanisme principal du travail géochimique de la matière vivante, par lequel elle tire les nouveaux éléments chimiques du milieu ambiant de la biosphère.

    Si nous connaissons l'intensité de la multiplication, il est possible d'établir la quantité de la matière vivante nouvelle créée dans l'unité de temps. Il est nécessaire à cet effet de connaître le poids moyen de l'organisme et la quantité d'individus qui naissent dans l'unité de temps. Connaissant leur composition chimique moyenne, il est possible d'établir le travail chimique de translation – du milieu ambiant dans les organismes – de la matière nécessaire à leur formation et à leur croissance jusqu'à, maturité. Ce travail est proportionnel à la quantité de matière vivante ainsi formée.

    La quantité de matière formée dans l'unité de temps pourrait en servir de mesure ; or, cette quantité est proportionnelle à la quantité des individus.

    La quantité d'individus formés dans l'unité de temps et leur poids à l'état de maturité pourraient donner une certaine notion de l'intensité du travail chimique opéré par l'organisme dans la biosphère, de son énergie géochimique.

    Mais cette expression de l'énergie géochimique de la matière vivante sera inévitablement très compliquée, car la quantité d'individus formés dans l'unité de temps croît rapidement avec le temps, en progression géométrique.

V

    Mais on peut exprimer ce travail de la matière vivante d'une toute autre façon. On peut le réduire au mouvement, dans la biosphère, des masses matérielles, qui, par leur poids et leur composition, correspondent à l'organisme. Le mouvement et la quantité de ces masses sont déterminés par la reproduction.

    Ce mouvement peut, comme tout mouvement, être exprimé en paramètres mécaniques ; on peut déterminer sa vitesse linéaire, son énergie cinétique.

    Autour de nous, dans la nature ambiante, ce mouvement s'effectue incessamment, sa présence peut être établie à chaque pas, mais habituellement nous n'en avons pas conscience, et cela pour trois raisons :
 1° parce que ce mouvement ne se manifeste pas comme une simple translation de masses matérielles, preuve en soit le fait qu'il est possible de l'observer chez des êtres immobiles, comme les plantes. Ce mouvement est, en une certaine mesure, analogue à une propagation. Il peut être comparé à la diffusion d'un gaz radioactif ;
2° parce que ce mouvement s'effectue comparativement d'une façon lente pour les organismes perceptibles à l'oeil nu ;
3° enfin parce qu'il s'effectue dans un milieu rempli – habituellement saturé – de vie, et par conséquent peut avoir lieu de temps en temps, et ne se manifester sous une forme nette que dans des conditions particulières, pas toujours présentes. Il rencontre une énorme résistance dans le milieu ambiant, et ne trouve pas toujours de place dans la biosphère pour se manifester. Nous en avons parfaitement conscience quand nous parlons de la pression de la vie, et nous savons quels efforts, quelle énergie il faut employer pour empêcher, par exemple, la pénétration dans des espaces, clos par nous, de la biosphère non seulement d'animaux mobiles, mais même de plantes immobiles.

    Il existe une analogie profonde entre la pression des masses gazeuses et la pression déterminée par les organismes qui se multiplient ; les lois qui gouvernent la première peuvent servir à l'étude de l'autre, et l'on peut arriver ainsi à d'importants résultats dans l'investigation des phénomènes de la vie. Mais présentement je laisserai de côté cette analogie, car il est possible, en prenant la multiplication pour base, de représenter l'énergie géochimique sous forme cinétique, plus commode pour son évaluation.

    Avant d'aborder cette question, arrêtons-nous sur deux ou trois exemples du mouvement dont nous allons nous occuper.

    Sur une immense étendue de la Russie méridionale, sur la frontière des steppes et de la forêt, l'homme, au cours de l'histoire, a été témoin soit de l'avancement de la forêt, c'est-à-dire de l'occupation de l'espace par cette dernière, soit de sa rétrogradation et de l'avancement de la steppe. Ces mouvements – dans un sens et dans l'autre – durent des siècles et ne peuvent être perçus que dans l'amplitude de la vie humaine. Ils résultent du fait que les conditions du milieu deviennent tantôt plus, tantôt moins favorables à la multiplication de la forêt. Les arbres et les herbes immobiles se meuvent par la reproduction.

    Dans l'extrême nord-est de la Sibérie a lieu une lutte analogue, entre la toundra de lichens et la taïga d'arbres.

    Un grand nombre de mouvements de ce genre pénètrent toute la nature vivante. Nous nous y heurtons à tout moment, nous ne pouvons nous y soustraire.

    Je m'arrêterai plus loin sur la floraison des étangs, sur la multiplication de la vie durant le peuplement des eaux stagnantes, durant la formation de couches de lentilles d'eau (Lemna), de Protozoaires, de Protophytes et d'autres organismes qui glissent sur leur surface.

    De temps en temps certains insectes ou des mammifères conquièrent de nouveaux espaces pour leur vie. Il est vrai que ces organismes sont mobiles aussi par eux-mêmes. Mais leur migration, perceptible pour nous, est au fond la conséquence d'un autre mouvement invisible déterminé par leur multiplication, c'est-à-dire de l'inévitable augmentation de la surface leur appartenant, augmentation qui devient nécessaire à leur vie.

    Les mouvements les plus divers de ce genre sont communs à tous les organismes. Chaque nouvel organisme exige pour lui une place au soleil. Plus la multiplication sera intense, c'est-à-dire plus le nombre des organismes formés dans l'unité de temps sera élevé, plus sera grande la propagation de la vie, sa pression, la translation de la matière vivante sur notre planète.

    La vitesse de ce mouvement, si nous réussissons à l'évaluer, nous donnera une mesure de l'énergie géochimique de la vie : plus cette vitesse sera grande, plus le travail chimique accompli dans la biosphère par l'espèce donnée d'organismes, par la matière vivante homogène, le deviendra aussi, et plus grande sera son influence sur la migration des éléments chimiques sur notre planète, sur les processus géochimiques.

    Mais pour l'évaluation dans la biosphère de l'énergie géochimique des masses des organismes qui se multiplient, il est extrêmement difficile de nous servir de la vitesse de propagation réelle de ces masses sur la surface terrestre, par suite de la croissance extrême au cours du temps du nombre des organismes d'un ensemble quelconque formés dans la même unité de temps.

    Bien que les organismes se multiplient invariablement par rapport au temps – toujours avec la même intensité – les masses formées par eux se propagent sur la surface terrestre avec une vitesse (apparente) toujours croissante, proportionnelle à leur nombre et à la surface occupée par eux. Donc, il est nécessaire de représenter dans notre discussion le mouvement de la matière vivante sur la surface terrestre sous une autre forme.

VI

    Le phénomène observé dépend de deux facteurs : d'une part de l'intensité de multiplication propre à l'organisme autonome, d'autre part des propriétés de la biosphère. Jusqu'à présent, ce second facteur a été habituellement laissé de côté, et c'est ce qui, à mon avis, explique le fait que ces phénomènes de première importance aient été négligés dans les représentations que les naturalistes se font de l'Univers.

    Relativement au premier facteur nous avons un grand nombre d'observations détachées, de faits établis avec précision, et un petit nombre de généralisations empiriques, très importantes, pour la plupart depuis longtemps connues, mais n'ayant pas attiré l'attention qu'elles méritaient.

    Quelques-unes de ces généralisations serviront de base à notre exposé ultérieur.

    Premièrement, tous les phénomènes de multiplication peuvent toujours être exprimés en nombres ; de même, la limite de multiplication maximum, laquelle ne peut être dépassée dans aucun cas pour l'espèce donnée. Ces nombres – le nombre des descendants et les termes de leur génération – sont stables au plus haut degré dans leur manifestation maximum.

    Secondement, la multiplication de tous les organismes, sans exception, peut être exprimée sous forme de progressions géométriques. Selon cette loi, le nombre d'organismes de toutes les espèces doit toujours croître avec le cours du temps. Parfois on exprime ce fait sous une autre forme : on détermine le temps nécessaire pour que le nombre des organismes devienne double ; il se trouve que ce temps est une constante pour chaque espèce. J'entends sous le terme de constante une grandeur physique stable, qui ne possède ce caractère que dans des conditions déterminées, qui se modifie selon des lois fixes lors du changement de ces conditions, c'est-à-dire une quantité qui a une limite qu'elle ne peut dépasser.

    Troisièmement, les petits organismes se multiplient plus vite que les organismes plus gros.

    Enfin, la multiplication n'est arrêtée que par le manque, dans le milieu ambiant, des conditions nécessaires : nourriture, température, etc.

    En d'autres mots, le processus de multiplication correspond aux phénomènes soumis aux règles de l’inertie ; il ne cesse de fonctionner que sous l'influence d'obstacles du milieu, mais non par suite de la modification du mécanisme qui la provoque.

    Ces généralisations paraissent évidentes par elles-mêmes, et constituent inconsciemment le fondement de notre compréhension de la nature vi vante. Malheureusement, elles n'ont jamais été soumises à une étude critique dans leur ensemble, et c'est pourquoi elles n'ont joué aucun rôle malgré leur immense importance pour notre compréhension de l'Univers.

VII

    Exprimons ces généralisations d'une autre façon. Pour les nombreux Protistes qui se multiplient par scission, les phénomènes de la multiplication peuvent être exprimés avec précision par la formule suivante :
2n∆=Nn
où n est le nombre de jours, Nn le nombre d'individus, qui se forment par suite de la scission en n jours, et ∆ le coefficient qui caractérise l'intensité de la multiplication. Pour les nombreux Protistes, ∆ exprime le nombre des générations en 24 heures.

    Il est possible de se convaincre empiriquement que la même formule est suffisante pour exprimer la multiplication de toutes les espèces d'organismes, même multicellulaires.

    Je ne puis, faute de place, examiner ici les complications qui s'y introduisent dans des cas spéciaux. Je noterai simplement ceci il est évident que pour les organismes dont la multiplication n'a pas lieu plusieurs fois en 24 heures, comme c'est le cas chez les Protistes, mais plusieurs fois par an ou une fois en quelques années, le nombre Nn n'aura une portée réelle que si n – le nombre de jours – est élevé en conséquence ; pour les plantes annuelles et les animaux donnant des générations une fois par an, on est obligé de prendre n égal à m.365, où m est égal au nombre d'années dans lequel a lieu la naissance de la nouvelle génération. Ce .n'est que pour de telles grandeurs de n que le nombre des individus Nn aura une importance réelle, coïncidera avec la réalité. Evidemment, ∆ ne correspond plus alors au nombre des générations, comme dans le cas des Protistes.

    La possibilité de représenter les nombreuses formes de multiplication par une seule formule est très commode pour le travail scientifique, car elle permet pour la première fois dans ce domaine de soumettre à une comparaison quantitative précise les propriétés des organismes les plus divers.

    J'ai fait les calculs nécessaires pour des centaines de groupes d'organismes, et j'ai toujours réussi à exprimer ce phénomène sous forme de la progression 2n∆= Nn en y introduisant dans certains cas des rectifications, des membres supplémentaires, comme par exemple pour les organismes multicellulaires dont la vie dure des années.

    De nombreuses déductions peuvent être tirées de cette formule, qui s'exprime de façons très diverses. Je ne m'arrêterai encore ici que sur une seule de ces expressions, qui introduit une nouvelle constante, α :
2n∆=(α+1)n=Nn
où α exprime l'accroissement par la multiplication d'un individu en 24 heures. L'individu croît chaque jour de α ; ainsi si α = 3, au terme de 24 heures chaque individu – quel qu'en soit le nombre – se transformera en 4 individus ; si α = 0,5, il se transformera en 1,5 individus, etc.

    La multiplication des organismes, et par conséquent leur énergie géochimique, augmente avec la croissance de ∆ et de α.

    Les limites des oscillations observées dans ces grandeurs peuvent être perçues dans le tableau 1, où elles sont indiquées pour quelques organismes appartenant à divers groupes du règne animal et végétal.

VIII

     Je dois faire ici une réserve relativement à ces nombres – réserve qui se rapporte également à tous les nombres que je cite dans mon exposé.

    Ces nombres ont pour base les observations qu'on trouve dans les mémoires biologiques. Ces observations n'ont jamais été faites avec la précision qu'exigent les mesures physiques. Il est rare de trouver des grandeurs moyennes calculées avec exactitude et basées sur un nombre suffisant – plusieurs centaines – d'observations. Le temps moyen entre les générations y est toujours approximatif. Par exemple, pour beaucoup d'oiseaux, il est indiqué qu'ils pondent des oeufs tantôt une fois par an, tantôt presque tous les jours. Il est certain que ce dernier nombre est approximatif et que pour chaque espèce – dans des conditions déterminées de sa biocénose et de son habitat – ce nombre doit avoir sa grandeur propre, qui n'est que voisine de 365.

    De même, pendant longtemps, l'intervalle entre deux générations chez les Protistes, les Infusoires par exemple, a été calculé en simples fractions de 24 heures, 1, 2, 3, etc. fois en 24 heures. Des études plus soigneuses ont démontré que ces calculs sont approximatifs et qu'en réalité chaque espèce est caractérisée par des intervalles particuliers entre les générations.

    Les nombres donnés ci-dessous pour ∆ et α ainsi que tous les autres nombres qui caractérisent les phénomènes de multiplication, ne sont donc pas définitifs ; ils donnent pourtant une notion générale nette du phénomène dans sa première approximation. Il est peu probable que l'ordre du phénomène change beaucoup, à la suite d'une investigation ultérieure plus exacte.

____________________________________
TABLEAU I. – Quelques exemples des nombres ∆ et α :

    BACTÉRIES
Bacterium coli comm.    61,27                 2,78 X 1018
Vibrio cholerae asiat.    61,02 – 62,47       2,2 – 6,4 X 1018
Bacterium ramosus       53,33                 1,16 X 1016

    DIATOMÉES
Nitzschia putrida          4,8                       26,8
Moyenne pour les diatomées marines
                                0,5                       0,41

    PÉRIDINIENS
Ceratium                     0,25                    0,19

    PHYTOMONADINÉES
Eudorina elegans           0,79                    0,72

    HELIOZOA
Actinophrys sol.            1,25                    1,38

    INFUSOIRES
Paramoccium aurelia       1,73                   2,32
        « »       caudata     1,09                  1,12
Leucophrys patula           7,0                    127,0

    DICOTYLÉDONES
Trifolium repens               0,016                 0,010
Solanum nigrum               0,04                   0,029
Blé (moyenne)                 0,019                 0,013

    MAMMIFÈRES
Sus scrofa                    0,9 – 2,23 X 10-3
 «    domestica              9,7 – 10,6 X 10-3
Mus decumanus             9,6 X 10-3 (min.)
Elephas indicus              0,096 – 0,4 X 10-3
______________________________________

     La grandeur maximum de ∆ ne dépasse pas 64–65 ; conformément, le maximum de α se trouve dans les limites de 1,8 X 1018 à 1,7 X 1019.

    Les grandeurs minima de ∆ et de α seront par suite égales à des nombres de l'ordre n X 10-5. Nous verrons que ces nombres ne sont pas accidentels.

IX

    La formule de la progression géométrique exprime la multiplication sans aucun rapport avec la biosphère : l'organisme y est considéré, comme d'habitude – et cela est commode – dans les problèmes biologiques, comme un corps autonome, indépendant du milieu.

    Evidemment, ce genre de formule ne peut, sous cet aspect, être utilisé pour la détermination de l'énergie géochimique de l'organisme.

    La formule de cette énergie doit nécessairement comprendre les propriétés du milieu spécifique dans lequel le travail de la matière vivante s'effectue – les propriétés de la biosphère.

    On peut y arriver sans changer les formules, mais en y introduisant les corrections qui se rapportent à notre Terre, en premier lieu celles qui ont trait à ses dimensions.

    Des représentations de ce genre ont surgi depuis longtemps ; nous les trouvons chez C. Linné, mais les conséquences n'en avaient pas été déduites. C. Darwin les a exprimées avec beaucoup de clarté en 1859. Il a indiqué comme une propriété caractéristique de tous les organismes, sans exception, leur faculté de recouvrir, par suite de leur multiplication, toute la superficie de la planète, dans des conditions de temps et de nourriture suffisantes. Il voyait avec justesse dans cette faculté une prémisse de la lutte pour l'existence. Plus l'intensité avec laquelle l'organisme se multiplie est grande, plus vite ce dernier doit recouvrir toute la surface terrestre d'une façon continue.

    Ces représentations correspondent certainement, sous cette forme, à un cas irréel et idéal. Nous savons que les forces qui mettent obstacle à ce phénomène sont insurmontables pour l'organisme. Cependant ces représentations expriment avec beaucoup de réalité, à une échelle planétaire, la force, l'énergie, dont la multiplication est la manifestation, et la diversité de cette force selon les organismes, car elles donnent une idée quantitative précise du travail géochimique maximum que peut accomplir l'espèce donnée dans la biosphère, c'est-à-dira les limites de son énergie géochimique active.

    On peut acquérir des représentations mathématiques très simples de cette énergie limite en exprimant la multiplication au moyen des grandeurs ∆ et α, et notre planète par les éléments numériques de sa surface.

    Seuls ∆ ou α changeront dans ces expressions mathématiques pour chaque espèce, tandis que les nombres qui ont trait à la biosphère y resteront constants.

    C'est pourquoi les expressions de la manifestation maximum de l'énergie géochimique resteront immuables aussi bien si nous les rapportons à quelque partie de la surface de la planète qu'à la planète entière.

    Le fait que la multiplication est soumise à la règle de l'inertie nous amène à la même conclusion ; ∆ et α, dans leurs grandeurs maxima, sont liés aux organismes, sont déterminés par leur mécanisme autonome et se manifesteront sans changement n'importe où, si le milieu vital de l'organisme le permet.

    La marche de la multiplication dépend d'eux seuls ; les dimensions de la planète ne permettront que d'établir le résultat final, sa valeur maximum.

X

    Nous pouvons donc appliquer ces nombres à l'étude de phénomènes naturels dans les cas où l'organisme recouvre d'une façon continue quelque espace da la biosphère ; par suite de sa multiplication, il accomplit dans ces limites le travail géochimique maximum dont il est capable.

    De pareils phénomènes – des mouvements de la matière vivante – s'observent à chaque pas dans la biosphère. Prenons par exemple la floraison des eaux stagnantes que j'ai déjà mentionnée.

    La floraison de l'eau n'est pas un phénomène rare et accidentel dans la nature. Elle se produit incessamment sur la surface de la planète, se répète d'année en année, dans les mêmes endroits avec une régularité immuable. Elle tire son origine du fait que certains organismes commencent subitement à se multiplier par suite de conditions de milieu favorables, qui n'ont pas été étudiées. En un court espace de temps toute la surface d'un étang se recouvre d'une couche continue d'un organisme de ce genre, par exemple de quelque Lemna (lentilles d'eau). Lorsque toute la surface de l'eau en est revêtue, le mouvement des Lemna s'arrête. Il est facile de prouver que la force de la multiplication n'a pas changé ; mais elle ne se manifeste plus par suite de la résistance du milieu, par suite du défaut de place pour le nouvel individu créé par la reproduction. Nous ne pouvons pas affirmer que la multiplication soit complètement anéantie, mais elle est indubitablement très affaiblie et les individus nouvellement nés périssent sans atteindre leur plein développement. Sa présence peut être observée et se manifester à chaque instant il suffit de libérer quelque place dans la couche des Lemna pour voir cet espace vide se combler dans un temps déterminé, suivant l'intensité de la multiplication. Ainsi, l'énergie géochimique n'a pas disparu ; elle s'est transformée en une forme potentielle.

    Nous appellerons états stationnaires de tels états des phénomènes de multiplication. Ils seront caractérisés par le plus grand nombre d'individus provenant de la multiplication qui peuvent trouver place sur l'aire donnée.

    Cet état peut s'exprimer par l'équation :
S/K=Nst
    où S est l'aire de la surface de l'eau, K un coefficient dépendant des dimensions de l'organisme, Nst le plus grand nombre de ces individus pour l'aire donnée. Connaissant ∆, il est aisé de calculer dans quel temps sera atteint Nst pour l'organisme, c'est-à-dire :
2n'∆=Nst

    Nous voyons constamment autour de nous des états stationnaires des organismes : les surfaces des roches, entièrement revêtues de mousses et de lichens, la steppe en friche, la forêt que la main de l'homme n'a pas touchée, chaque biocénose ou société animale ou végétale sont autant d'exemples de la manifestation de ces états. Outre les dimensions de l'aire donnée, c'est en premier lieu la lutte pour l'existence et l'énergie géochimique différente des matières vivantes homogènes qui se trouvent simultanément sur l'aire donnée qui y jouent un rôle important. Mais la condition essentielle, c'est la grandeur de l'aire ; étant donnée cette grandeur, chaque organisme ne peut dépasser le nombre propre à son état stationnaire : il donnera autant de générations que le lui permettra la partie de la surface qu'il réussira à s'assurer dans la lutte pour l'existence.

XI

    Toutes ces considérations peuvent être appliquées à la surface entière de notre planète. Envisagé à cette échelle, le phénomène de la multiplication nous permet de comparer quantitativement les manifestations de la force qui l'a provoqué, ce qui ne peut se faire pour les phénomènes exprimés sous forme d'une progression géométrique infinie.

    Les rapports qui existent entre les nombres d'individus nés de deux organismes dont la multiplication est exprimée par des progressions géométriques peuvent être exprimés par l'équation ci-dessous :
Nn/N'n=(α+1)n/(α_1+1)nn
    autrement dit la différence entre le nombre possible d'individus pour les deux espèces augmentera avec le cours du temps d'une façon irrésistible et illimitée.

    Mais les dimensions limitées de notre planète ne permettent pas la manifestation de cette croissance illimitée. Il ne peut y exister qu’un seul nombre, maximum stationnaire, d'individus pour chaque espèce, qui sera atteint au moment de la manifestation la plus complète de l'énergie géochimique propre à la matière vivante donnée.

    Ce nombre maximum sera déterminé par les dimensions de la planète et la grosseur moyenne de l'organisme ou l'aréal moyen de l'habitat de chaque organisme.

    Il est donné par l'équation :
Nmx=S/K=(5,10065∙1018)/K
où S et K sont exprimés en centimètres carrés.

    L'existence d'un nombre stationnaire maximum pour chaque espèce d'organismes est liée au fait que chacun d'eux possède une énergie active propre de multiplication, qui ne peut jamais être dépassée, sur notre planète. L'énergie géochimique potentielle peut être considérée comme illimitée, mais l'énergie active réelle a une limite déterminée pour chaque organisme. Il existe une masse maximum déterminée et immuable de matière, qui peut être atteinte par chaque espèce d'organisme, masse pouvant exister simultanément sur notre planète.

    Cette masse maximum de matière – M – est égale à :
M=pNmx
où p est le poids moyen de l'organisme.

    La grandeur M donne une représentation du travail chimique que peut effectuer en fin de compte chaque espèce végétale ou animale.

    Comparant les grandeurs M pour divers organismes, nous obtenons le rapport qui existe entre leur énergie géochimique maxima. Ce rapport demeure toujours immuable, bien que M soit une grandeur terrestre différente et caractéristique pour chaque organisme.

    Le même organisme, placé sur une autre planète, possédera une autre énergie chimique libre, ainsi qu'un autre poids, mais le rapport entre les divers M peut demeurer immuable.

    (à suivre)

    W. Vernadsky,
Membre de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S.

* Conférence faite à Brno, à l'Université Masaryk, en janvier 1926, et à la Société des Naturalistes de Leningrad (Saint-Pétersbourg), en avril 1926. Le texte in extenso est publié en langue russe dans le Bulletin de l’Académie des Sciences de l'Union des Républ. Soviét., 1926. Cf. mes Etudes biogéochimiques, I-II.

     
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5 mai 2009 2 05 /05 /mai /2009 13:23
SUR LA MULTIPLICATION DES ORGANISMES ET SON RÔLE DANS LE MÉCANISME DE LA BIOSPHÈRE


     Deuxième partie


XII

    Il est bien plus commode, en vue du but que nous nous proposons, de représenter dans nos calculs l'énergie géochimique sous une autre forme : l'énergie cinétique, en utilisant pour cela le mouvement de la matière vivante sur la surface terrestre provoqué par la multiplication des organismes.

    C'est par ce mouvement que s'opère, sur la face de la biosphère, la transmission du travail géochimique de la matière vivante, son énergie géochimique.

    La vitesse de cette transmission, exprimée en unités linéaires, nous servira de mesure pour l'énergie géochimique de la matière vivante. Je l'appellerai v, vitesse de transmission de la vie, c'est-à-dire de la transmission de l'énergie géochimique de la matière vivante dans la biosphère.

    Il ne faut pas la confondre avec la vitesse de multiplication ou de propagation sur la surface terrestre d'une foule d'organismes qui se multiplient. Cette vitesse détermine la transmission d'une force propre à l'organisme, de sa faculté d'effectuer un travail géochimique, cette faculté étant immuable et limitée pour chaque espèce (car M est une grandeur limite constante) et transmise avec une vitesse constante (dépendant seulement des constantes maxima ∆ ou α).

XIII

    Utilisons la représentation depuis longtemps mise en usage par les naturalistes. Appelons ε le nombre des jours au cours desquels un organisme donné peut entièrement combler la surface de notre planète avec la densité maximum de peuplement qui lui est propre.

    Evidemment ε dépendra : 1° de l'intensité de la multiplication, c'est-à-dire de ∆ ou de α ; 2° de la grosseur de l'organisme, donnée par le coefficient K ; 3° des dimensions de la planète, soit 5,10065.1018 cm2.

    Il doit correspondre à la formule :
ε = (18,70762-lgK)/(∆.lg2)

    Sa grandeur est différente pour chaque organisme et oscille entre 1,3 journées pour les Bactéries, et plusieurs milliers d'années pour les gros Mammifères.

    On peut se convaincre que, comme ∆ et α, ε sera aussi soumis à des changements réguliers pour les familles et les classes des organismes (Tableau II).
________________________________________
TABLEAU II. Valeur de la grandeur ε ou occupation de la superficie terrestre par la matière vivante (en jours).

                                          ε
Plancton vert (moyen)            168-183
Grandes algues marines           17 832-28 931 (49-79 années)

    BACTERIES
Vibrio cholerae                       environ 1,25
Bacterium typhi                      environ 1,8

    INFUSOIRES
Leucophrys patula                  max 10,6
Paramecium aurelia                moyen 42,7
Paramecium caudatum            31,8-67,3

    SCHYZOPHYTES
Anabaena baltika                   112-143

    DIATOMEES
Nitzschia putrida                    max 16,8

    INSECTES
Culex pugens                         202
Aphis mali                             392
Musca domestica                   environ 366

    PLANTES VERTES
Trifolium repens                     4 076 (plus de 11 ans)

    POISSONS
Clupea harengus                    2 736-4 435 (7-12 ans)
Pleuronectes platessa            (max) 2 159 (environ 6 ans)
Gadus morrhua                      1 556 (plus de 4 ans)

    OISEAUX
Poules                                 5 000-6 100 (15-18 ans)

    MAMMIFERES
Rat                                     environ 2 800 (environ 8 ans)
Cochon                                environ 2 800 (environ 8 ans)
Porc sauvage                        environ 20 628 (plus de 56 ans)
Éléphant                              environ 376 000 (plus de 1000 ans)
________________________________________

XIV

    Evidemment la transmission de l'énergie géochimique – lors de la pleine manifestation sous une forme active de cette dernière – propre à la matière vivante donnée (espèce, race ou sous-espèce), s'effectuera aussi pour chacun d'eux en ε jours, la transmission ayant toujours lieu avec la même intensité dans des conditions déterminées.

    Pour déterminer sa vitesse linéaire, il faut faire attention à ce qui suit.

    Quand un organisme se propage, en raison de la multiplication, sur la surface de la planète, il accomplit par ce mouvement une sorte de voyage autour du monde. Chaque organisme traverse ainsi inévitablement, avec une vitesse différente pour chacun d'eux, le même parcours, le plus long de ceux qui existent sur notre planète. Ce parcours, c'est la longueur de l'équateur terrestre, qui est égale à 40.075,721 km ou 40.075,721X109 cm.

    Par l'équateur se transmet aussi – dans le cours de εX86.400 secondes – l'énergie géochimique de la matière vivante homogène donnée.

    La vitesse de transmission sera déterminée par le nombre de centimètres traversés en une seconde.

    Je nommerai cette grandeur V, caractéristique de chaque espèce, vitesse de transmission de la vie sur notre planète, ou – mieux encore – transmission de son énergie géochimique.

    Elle est égale à :

V = (46383,93.lg(α+1))/(18,70762–lgK)
d'où V=(46383,93.lg2.∆)/(18,70762-lgK)

    Ainsi que la formule nous le démontre, la vitesse V change seulement en relation avec la grandeur ou l'aréal de l'organisme et avec l'intensité de sa multiplication. Sa grandeur est déterminée par la dimension de la planète.

XV

    La définition de cette grandeur paraît un peu artificielle.

    Quelques éclaircissements seront peut-être utiles.

    La longueur de l'équateur terrestre est une direction unique dans notre planète. C'est une grandeur physique très importante. C'est la direction la plus longue qui puisse être traversée dans un sens sans répétition, dans n'importe quelles conditions, sur la surface terrestre. Elle peut servir d'indicateur pour l'énergie géochimique de toute matière vivante. Lorsque l'organisme dans sa reproduction traversera dans un même sens une distance égale à 40.075,72 km, son énergie active de multiplication deviendra potentielle et la multiplication n'aura plus lieu.

    Or c'est une propriété commune à tous les organismes. C'est la raison pour laquelle il est commode de prendre cette grandeur pour unité de comparaison, afin de déterminer la vitesse de transmission de l'énergie géochimique de la vie sur la surface terrestre par voie de multiplication. Tous les organismes devront inévitablement traverser cette longueur lors du complet peuplement par eux de la surface terrestre.

    Evidemment la transmission de l'énergie géochimique ainsi mesurée devra toujours s'effectuer avec la même vitesse, car la grandeur V dépend seulement des grandeurs ∆ et K, constantes pour l'espèce donnée. ∆ maximum correspond aux conditions optima de la vie de l'espèce. Pour les autres valeurs de ∆, la valeur de V sera toujours proportionnellement moindre et indiquera des conditions de vie moins propices pour l'espèce.

XVI

    Arrêtons-nous sur le coefficient K, notion complexe et dont l'analyse n'est pas encore faite à fond.

    Cette grandeur détermine le peuplement maximum, la densité de la vie sur une aire déterminée.

    On peut se représenter la densité maximum d'une telle existence, lorsque les organismes seront côte à côte, étroitement serrés l'un contre l'autre et immobiles, tout en conservant cependant la liberté de leurs mouvements. Je nommerai K1 cette valeur du coefficient K et considérerai K1 comme égal au carré de la dimension maximum de l'organisme. Ainsi, pour une bactérie d'une longueur de 1 micron (10-4 cm), d'une largeur de 0,5 micron (5 X10-5 cm), K1 sera égal à 10-8 cm2 ; pour un poisson d'une longueur de 100 cm et d'une largeur de 20 cm, K1 sera égal a 104 cm2.

    Un grand nombre de mes calculs sont basés sur cette détermination du coefficient K1 et le tableau ci-après représente la grandeur V ainsi obtenue. Je l'appellerai V1. Il est certain que le coefficient K1, étroitement lié aux dimensions de l'organisme, répond à une propriété très importante de la matière vivante. Car les dimensions des organismes ne sont pas accidentelles. Nous verrons que leur limite inférieure est déterminée avec précision par les propriétés moléculaires de la matière, en particulier par celles des gaz. La limite supérieure n'est pas accidentelle non plus. Elle n'a pas dépassé les bornes de 200 à 300 mètres dans le cours de toute l'histoire géologique.

XVII

    Mais il existe une autre expression de cette vitesse V. Dans cette expression le coefficient K possède une portée biologique plus profonde. Cependant, en général, les données nous manquent pour le déterminer.

    J'appellerai K3 cette autre expression du coefficient K. Le coefficient K3 détermine l'aréal nécessaire à la vie et à la multiplication de l'organisme. Dans ce cas, on obtient pour la vitesse V une valeur plus grande (car les nombres stationnaires ainsi calculés sont moins grands) et une expression qui correspond davantage à la réalité.

    Quelques exemples de K3 nous suffiront pour démontrer son importance :
                             K1             K3
Éléphant indien         5.105         2.1012
Abeille                     4-5           2,5.106
Blé                          2-4           25-35
Brebis (Écosse)         2,25.104   4.107

     II est clair que l'aréal de la vie, par exemple celui de l'homme civilisé, est extrêmement grand, par suite de la complexité de ses besoins ; son nombre stationnaire, qui correspond réellement à sa civilisation, n'est relativement pas élevé et il est douteux que ce nombre dépasse de beaucoup nX109 où n n'est pas grand.

    Ce domaine est présentement très délaissé par les biologistes et exigerait des recherches vigoureusement poussées. Les résultats y seraient probablement très féconds.

XVIII

    Le troisième tableau contient quelques exemples de données numériques sur la vitesse de transmission de la vie. Arrêtons-nous sur la première grandeur correspondant à V, calculée pour les bactéries.

    Le nombre obtenu est très remarquable. Il est voisin de 33 100 cm/sec. C'est la vitesse du son dans l'air, c'est-à-dire dans le milieu de la respiration des organismes.

________________________________________
TABLEAU III. Les grandeurs V (en cm/sec).

Grandes algues (moyenne)                 1.6-2,5
Plancton des Péridiniens (moyenne)     166-176
Plancton marin vert                          246-273
Elephas indicus                                0,096-0,1
Sus scropha.                                   0,9-2,23
Mus decumanus                               9,6 (max)
Sus domestica.                                9,7-10,6
Poules de Cochinchine                       7,3-8,2
Clupea harangus                              10,4-17,9
Leuciscus idus                                 15,1
Gadus morrhua                                26,8-29,7
Blé (France, moyen)                         97-10 (V3)
Trifolium repens                               11,38
Cicada septendecim                         1,03
Pachytylus migratorius                      11,3
Musca domestica                             126,5
Culex pugens                                   336,88
Glaucoma pyriformis                          1 408-1 760
Paramaecium aurelia                         1 083,3 (moy.)
Paramaecium caudatum                    689-1 456
Nitzschia putrida                             2 688-2 745
Bacillus ramosus à 5°                       2 127
 (optim.)                                        29 538
Bacillus subtilis                                24.866
Vibrio cholerae                                33 100 jusqu'à 37 350
________________________________________

    Tout indique que cette coïncidence n'est pas accidentelle.

XIX

    Les bactéries occupent une place remarquable dans le règne de la vie. Ce sont les plus petits organismes connus, qui se multiplient avec la plus grande intensité. Elles ne sont pas bien éloignées des limites de la vie, comme nous le démontre l'étude de leur énergie géochimique.

    Les bactéries sont des organismes dont la grandeur du ∆ est la plus élevée que nous connaissions. On peut la définir pour elles avec une grande précision : pour les bactéries, ∆ exprime le nombre des générations nées en 24 heures. En moyenne leur multiplication (par scission de la cellule) est stable ; elle s'effectue avec de petites oscillations. Les intervalles entre deux scissions ont évidemment une immense importance biologique et géochimique. On peut les exprimer en secondes par :

    86.400/∆=τ

    Evidemment cette période τ ne peut pas être illimitée. Elle exprime le temps nécessaire pour la formation de tous les composés chimiques si complexes du plasma des bactéries.

    Dans les traités de bactériologie on indique pour τ les valeurs minima de 17 à 20 minutes. Mais ce sont des observations individuelles et non des données moyennes, caractéristiques des processus de scission. Les valeurs moyennes ne descendent pas au-dessous de 22X60=1320" et 23X60=1380". Elles déterminent les limites de ∆, α et Nmx. Les valeurs maxima de ∆ varient entre 63 et 64, de α entre 1018 et 1019, et Nmx est un nombre de l'ordre 1026, peut-être de 1027.

    Ces maxima se rapportent aux bactéries les plus petites (diamètres de l'ordre de 10-5 cm.).

    Certes la grandeur minimum de τ doit avoir une grande importance biologique. Il est incompréhensible qu'elle ne soit pas établie, bien que sa détermination ne présente pas de difficultés particulières.

    Cette grandeur est évidemment liée : 1° aux dimensions de l'organisme (elle correspond à leur grandeur minimum) ; 2° à la force de multiplication (elle correspond à la grandeur ∆ maximum) ; 3° à la plus grande énergie géochimique de la matière vivante, – V et Nmx maxima.

    Sa détermination précise présente par suite un grand intérêt non seulement biologique, mais géochimique.

XX

    Elle devient encore plus importante par le fait que les propriétés des gaz, liées à l’organisme par un lien indissoluble, détermine la limite de la grandeur τ – ainsi que de la plus petite dimension des organismes et de leur plus grande multiplication, c’est-à-dire les limites de ∆ at de V.

    L'échange gazeux est la manifestation la plus caractéristique de la multiplication, et par conséquent de la transmission de l'énergie géochimique de la vie dans la biosphère. Si la vie à l'état latent (par exemple chez les graines ou les spores) peut exister sans échange gazeux, l'organisme qui se multiplie respire inévitablement. S'il respire, un courant ininterrompu de molécules gazeuses doit sortir de l'organisme et y rentrer.

    L'intensité de la multiplication, liée à la création de nouveaux composés organiques (toujours avec la participation de la matière sous sa forme gazeuse), est toujours proportionnelle à l’intensité de l’échange gazeux. Le courant gazeux peut toujours servir de mesure de la multiplication et, si peu que nous connaissions l'échange gazeux des bactéries, il n'est pas douteux que nous y observons l'échange gazeux le plus intense.

    Cet échange ne dépend pas seulement de l'organisme ; c'est une fonction des propriétés du gaz.

    Partant, la multiplication des organismes, ainsi que leurs dimensions, sont une fonction des gaz.

    En étudiant ces phénomènes, nous devons arrêter notre attention sur deux propriétés déterminées et constantes des gaz : 1° sur la grandeur des molécules gazeuses ; 2° sur le nombre de ces dernières qui peuvent se trouver dans un volume déterminé de l'espace.

    Il est très caractéristique que ces deux grandeurs soient commensurables avec les nombres qui correspondent aux dimensions et à la multiplication des éléments des matières vivantes.

    La grandeur des molécules gazeuses est de l'ordre de 10-7 cm. Elle ne peut pas être moindre, car les nombres de l'ordre de 10-8 cm sont déjà des distances atomiques.

    Evidemment, les organismes – les bactéries et les représentants ultramicroscopiques de la vie – ne peuvent avoir des dimensions de l'ordre de 10-7 cm et au-dessous. Les organismes les plus petits que nous connaissions ont des dimensions de l'ordre de 10-4-10-5 cm. (par exemple Bacillus cholerae : 5.10-5 cm épaisseur).

    Dans l'échange gazeux de ces organismes, nous nous trouvons en face de processus biophysicochimiques complexes qui ont lieu entre les ensembles de corps minimes de dimensions voisines – n.10-7 cm (molécules gazeuses) et n.10-4-10-5 cm (bactéries).

    On ne sait pas si ces processus peuvent exister pour des organismes de l'ordre de 10-6 cm.

    Pour résoudre cette question, il faut ne pas perdre de vue les phénomènes de la multiplication.

    Les calculs nous démontrent que, pour les organismes de l'ordre 10-6 cm, ∆ doit atteindre des valeurs qui dépassent considérablement 64 et la valeur de V doit dépasser considérablement la vitesse des ondes sonores dans l'air, intimement liée à l'élasticité des gaz. Serait-ce possible?

    N'existe-t-il pas ici une limite à la multiplication des organismes, ainsi qu'à leurs dimensions ?

XXI

    Je ne puis m'arrêter ici que brièvement sur cette question ; j'espère y revenir ailleurs (cf : W. Vernadsky, Bull. de l’Acad. Des Sciences de l’Union des Républ. Sov. L., 1926, p. 727.)

    Pour la résoudre, il faut ne pas perdre de vue les propriétés des gaz et en premier lieu le nombre de Loschmidt, qui détermine la quantité de molécules gazeuses dans un cm3 (pour 0° et 760 mm, il est égal à 2,706X1019).

    Le nombre de Loschmidt est une autre expression du nombre d'Avogadro ; il forme la base de la Physique moléculaire moderne et il est confirmé par tout son contenu empirique.

    En en tenant compte, nous sommes obligés d'admettre l'existence de limites de la multiplication, et de la grandeur de ∆. Dans un cm3 des liquides où vivent les bactéries, le nombre des molécules gazeuses, nécessaires à leur respiration et à la multiplication, doit être bien inférieur à 1019, car 2,706 X1019 représente leur quantité maximum dans un espace vide. Un organisme sphérique d'une grandeur égale à une bactérie d'un diamètre de 1,24x10-4 cent. (volume 1012 cm3) peut donner par voie de multiplication 1012 individus dans ce volume. Ce fait nous permet d'admettre que la relation
    1012 bact./1019 mol. gaz.
peut effectivement exister, car les bactéries sphériques, dont le volume atteint 1 µ3 (1012 cm3), pullulent dans l'Océan (Fisher).

    Pour un tel organisme sphérique, la grandeur de ∆ est voisine de 63. Le nombre des individus qui peuvent par voie de multiplication (nombre stationnaire) vivre dans un cm3 croît rapidement avec ∆. Simultanément, la grosseur de l'organisme diminue en proportion. Lorsque les dimensions des organismes atteignent l'ordre de 10-6 cm, il s'établit des corrélations voisines de la parité entre le nombre des individus et le nombre des molécules gazeuses. Nous aboutissons à des phénomènes qui, selon nos conceptions actuelles, nous paraissent invraisemblables.

    Car ces hypothèses supposent implicitement que la vitesse de la transmission de l'énergie géochimique des organismes doit dépasser la vitesse du son, c'est-à-dire le déplacement des molécules gazeuses qui, comme on sait, n'est déterminé que par leur élasticité et par leur densité. Or c'est impossible, parce que ces mêmes propriétés des gaz déterminent la respiration et par conséquent le travail géochimique des organismes. Je reviendrai ailleurs sur ce phénomène(cf : W. Vernadsky : Études biogéochimiques, II, 1926)

XXII

    L'influence des échanges gazeux de l'organisme sur son énergie géochimique maximum nous oblige à examiner avec plus d'attention la manifestation de ces échanges gazeux dans la biologie des êtres vivants et dans la structure de la biosphère.

    Dans la biologie, nous observons sa manifestation à chaque pas.

    En premier lieu cet échange est intimement lié à la propagation des organismes sur la surface terrestre, provoquée par leur multiplication.

    Car cette forme de mouvement de la matière vivante ne présente pas une analogie complète avec le phénomène purement mécanique de la propagation du gaz ou de quelques corps visqueux, propagation toujours indépendante du milieu dans lequel elle a lieu.

    Tout au contraire le mouvement en question se distingue par le fait que l'organisme qui se meut est indissolublement lié à son milieu ambiant. Ce mouvement accélère sa marche lorsque l'échange gazeux devient plus intense ; il la ralentit, lorsque ce dernier faiblit. La respiration règle la propagation de la vie dans la biosphère et détermine les dimensions des organismes et leur faculté de multiplication. Pour les Protistes, chez lesquels l'échange gazeux a lieu par leur surface, il est évidemment proportionnel à leur grandeur. Plus l'organisme est petit, plus la surface qui correspond à la même masse de matière vivante sera comparativement grande ; d'autant plus intense sera l'échange gazeux et l'énergie géochimique de la vie atteindra une valeur plus grande. C'est parmi les Protistes que se trouvent les organismes à effet géochimique maximum.

    Pour les êtres multicellulaires, ce phénomène est plus complexe, car chez eux l'échange gazeux a lieu en partie dans l'intérieur de l'organisme et leur surface ne lui est pas directement proportionnelle. Effectivement, l'énergie géochimique cinétique des Métazoaires et des Métaphytes d'une part, et des Protistes de l'autre, est nettement différente, ce qui correspond exactement aux divers mécanismes de leur respiration (§ XXVI).

    L'échange gazeux détermine en outre les nombres d'individus des différentes espèces pouvant exister simultanément et influence ainsi leur lutte pour l'existence.

    Car la quantité de gaz qui se trouve à la disposition de la matière vivante est limitée, surtout celle de l'oxygène libre.

    Donc une lutte des organismes pour l'existence sous forme de lutte pour le gaz doit avoir lieu dans la Nature.

XXIII

    Mais l'influence qu'exerce la respiration des organismes peut être constatée dans les phénomènes encore plus grandioses de la biosphère elle-même.

    Elle explique le caractère extrêmement singulier de l'échange gazeux de notre planète, qui depuis longtemps avait attiré l'attention des minéralogistes et n'avait pas trouvé d'explication.

    Trois phénomènes sont à noter dans le régime gazeux de la Terre :
La composition même des gaz. La composition des gaz naturels de la troposphère est identique à celle des gaz qui se forment dans le cours des processus biochimiques ou qui en dérivent.
    Outre les gaz extrêmement rares, la troposphère contient les gaz suivants qui se dégagent de la matière vivante et pénètrent en grande partie par cette voie dans la troposphère : l'azote, l'oxygène, l'acide carbonique, l'eau, l'hydrogène, le méthane, l'ammoniaque, l'hydrogène sulfureux. L'ozone, les oxydes du soufre et de l'azote sont obtenus dans les conditions de la biosphère sous l'action de l'oxygène libre. L'hélium seul et les gaz nobles tous en quantité minime ne dépendent pas du tout de la matière vivante, à ce qu'il semble ;
L'origine purement biogéochimique du gaz essentiel qui maintient la respiration, de l'oxygène libre ;
La quantité des gaz de la troposphère, de la biosphère en général. Elle est comparable à la quantité de la matière vivante.

    Une telle structure chimique de la troposphère peut être expliquée par ce rôle du travail chimique de la matière vivante dans sa formation. En dernier lieu c'est l'énergie radiante du Soleil que la matière vivante introduit ainsi dans l'enveloppe gazeuse terrestre.

    Les organismes dans leur ensemble se livrant entre eux à une lutte pour le gaz établissent de par ce fait l'échange gazeux de notre planète.

XXIV

    L'étude de l'énergie cinétique géochimique de la matière vivante nous permet de préciser encore ce processus.

    Nous abordons ici une nouvelle région d'application de ces nouvelles notions, sur laquelle je ne m'arrêterai aujourd'hui que très brièvement.

    Nous pouvons exprimer l'énergie géochimique cinétique d'un organisme par la formule habituelle de la mécanique mv2/2 où m sera le poids moyen de l'individu de l'espèce, dont la vitesse de transmission de la vie (de l'énergie géochimique) sera égale à V.

    L'énergie géochimique cinétique se manifeste par la formation de la matière vivante dans la biosphère. On peut la rapporter à une aire déterminée, soit à un hectare. Cette aire détermine alors le travail chimique effectué par les organismes lorsque le peuplement de l'hectare est au complet.

    Rapportée à l'hectare, l'énergie géochimique cinétique d'une espèce pourra être exprimée par la formule

(mv2/2)∙(1018/K1)=A

    c'est-à-dire par la somme des énergies cinétiques de tous les organismes qui peuvent trouver place sur un hectare.

    L'analyse des faits concrets démontre que pour tous les Protozoaires et Protophytes cette énergie dans sa manifestation maximum, est la même.

    On arrive à la formule :

(pv2/2a)∙(108/K1) =3,54325∙1012  C.G.S.

    où p est le volume et a la densité de l'organisme.

    Cette constance pst évidemment une conséquence de l'apport de l'énergie solaire, rapporté, à un hectare, énergie qui est englobée par les plantes vertes et transformée par elles en énergie chimique libre capable de produire du travail.

XXV

    Nombreuses et diverses sont les déductions qui peuvent être tirées de ce phénomène. Evidemment, non seulement les phénomènes de la fertilité doivent être révisés d'une façon nouvelle, mais la constance de A pour les Protistes doit nous permettre de calculer ∆, α, m, K dans les cas ou quelques-uns de ces coefficients nous sont connus. Les dimensions, le poids et la multiplication des Protistes doivent se trouver en corrélations simples. Le nombre A se rapporte à la manifestation maximum de la multiplication, et seuls ∆ et α maxima sont liés avec le poids et les dimensions de l'organisme par cette formule.

    Malheureusement, nous ne pouvons maintenant faire ces calculs que pour des cas très simples, car les observations nécessaires nous manquent. Le poids moyen des Protozoaires et Protophytes n'est pas directement mesuré ; le volume ainsi que le poids spécifique ne sont que rarement déterminés. Les éléments de la multiplication maximum, c'est-à-dire de la reproduction dans les conditions optima de la vie, manquent aussi.

    Mais la vérification de l'exactitude de la formule peut quand même être faite. Car le poids spécifique pour ces organismes est toujours voisin de l'unité, tandis que la forme se rapproche souvent des figures géométriques simples et parmi celles-ci très souvent de la forme sphérique.

    Nous obtenons pour ces cas des formules extrêmement simples.

    Pour les organismes sphériques :

V2=(1,35922∙105)/D
2=E(C-2lgD)2/(B2∙D)

    où D est le diamètre de la sphère ; E = 1,3S922.105 ; G = 18.70762 ; B = : 46383.932.

    Pour les organismes cylindriques :

V2=4,5∙104/D1=45 000/D1
2=(E2 (C-lg2D1∙H)2)/(B12.D)

    où D1 est le rayon de la base ; H la hauteur du cylindre ; E2=4,5.

    Je m'arrêterai ailleurs sur ce phénomène. Il me suffit de donner ici quelques exemples.

________________________________________  
TABLEAU IV. Calculs de ∆ (générations en vingt-quatre heures) des Protistes lors de leur scission
                                Calculés           Observés
Leucophrys patula        4,8-6,8            env. 7 (Maupas)
Stylonichia pustulata     4,65-5,11          ‘’     5 ( ‘’ )
        ‘’          mytilus    3,27-4,4            ‘’     3 ( ‘’ )
Stentor coeruleus         0,42-0,63         0,5 (Gruber)
________________________________________

    Tous ces calculs ont été faits dans la supposition que la forme des organismes était sphérique. En réalité elle est seulement voisine de la sphère ; c'est pourquoi ces calculs ne peuvent être qu'approximatifs. Les générations (∆) « observées » correspondent aux températures de reproduction maximum de l'infusoire. Les données sur les dimensions ne sont pas très exactes, car les biologistes n'indiquent habituellement que leurs limites et ne donnent pas les valeurs moyennes.

XXVI

    Néanmoins, cette vérification peut être considérée comme suffisante. Elle nous oblige à examiner avec plus d'attention les principes fondamentaux sur lesquels nos raisonnements sont basés, en premier lieu l'importance de la respiration, de l'échange gazeux, qui règle la multiplication.

    J'ai déjà indiqué qu'on observait sous ce rapport une différence nette entre les organismes unicellulaires et multicellulaires, et qu'il n'existe que pour les premiers une relation simple entre la multiplication et les dimensions de l'organisme (sa surface). Aussi, pourrait-on supposer que la grandeur A est autre pour les organismes multicellulaires.

    Les observations le démontrent nettement. La régularité observée pour les Protistes n'existe pas chez ces derniers et elle n'atteint jamais, comme il résulte du moins de mes calculs, l'ordre de 1012 C.G.S. sur un hectare. Cette grandeur est toujours moindre ; elle varie pour différents organismes, oscille entre les unités de l'ordre 1010-1011 C.G.S. par hectare, et descend peut-être jusqu'à l'ordre 109 pour quelques organismes supérieurs.

    L'énergie qui détermine l'échange gazeux et qui bâtit le corps de l'organisme vivant est dépensée en entier pour la multiplication et pour la croissance chez les Protistes seulement ; elle se manifeste alors dans la biosphère sous forme de leur énergie cinétique géochimique.

    Pour les organismes supérieurs, sa plus grande partie est dépensée dans des processus d'un autre genre ; elle y revêt d'autres formes, qui ne se manifestent pas aussi simplement dans les processus géochimiques de la biosphère.

    Mais, dans un cas comme dans l'autre, la valeur de cette énergie est une fonction de l'échange gazeux, de la respiration. Dans l'un et l'autre cas, il existe une dépendance entre ce phénomène et les dimensions de l'organisme et de la planète. Dans les deux cas, le phénomène de multiplication et l'énergie géochimique qui s'y rapporte peuvent être l'objet d'expressions précises mathématiques.

XXVII

    Je pourrais terminer ici ma conférence, dont le but principal était d'attirer l'attention sur ces domaines de la science qui se trouvent à l'écart du travail scientifique courant, et de souligner leur importance.

    Quand les naturalistes comprendront l'importance de ces phénomènes, ils commenceront à rassembler les faits, sans lesquels aucun travail ultérieur n'est possible, et qui ne peuvent être recueillis que par un travail collectif.

    Mais je veux, avant de terminer, exprimer et souligner quelques principes généraux sur lesquels mon exposé est basé, principes qui touchent à la fois le domaine de la science et celui de la philosophie.

    Ces deux domaines, quoique leur pénétration mutuelle soit inévitable, sont de par leur essence même des régions absolument différentes de la manifestation de la personnalité humaine.

    C'est pourquoi la plus grande prudence est nécessaire de la part du savant, comme du philosophe, lorsque chacun d'eux, de son côté, pénètre avec la routine et les procédés qui lui sont propres, et avec un ensemble de faits de caractères divers, dans un domaine qui lui est étranger, mais vers lequel il est amené par le travail de sa pensée. Dans ce domaine, il ne peut jamais être maître.

    Cependant il y a des moments, dans l'histoire de la Science ou de la Philosophie, où cette pénétration mutuelle devient inévitable, et il me semble que nous traversons actuellement une telle phase.

    Nous avons le bonheur de vivre à une époque encore sans précédant dans l'histoire multimillénaire de la pensée scientifique. Devant la science s'ouvrent des perspectives d'une largeur jamais encore entrevue. Pour les saisir, pour les aborder, nous sommes obligés de nous aventurer de temps en temps hors du domaine de la Science – pour tous uniforme – dans celui de la Philosophie toujours multiforme.

    Nous le faisons parce que le concept de l'univers scientifique, au sein duquel a lieu notre travail, n'est pas seulement une création de la science. Ce concept est pénétré de constructions philosophiques et religieuses, étrangères à la Science, mais dont nous oublions habituellement l'origine.

    Ces constructions étrangères à la Science commencent à déranger notre travail scientifique.

    Elles doivent être remplacées par d'autres constructions, qui répondraient davantage aux nouvelles acquisitions scientifiques.

XXVIII

    Je veux terminer mon exposé en notant deux notions de cet ordre, liées entre elles d'un lien qui resserre toujours plus fort la pensée scientifique.

    Ces notions, qui par leur essence sortent des limites de la pensée scientifique, pénètrent le domaine de la philosophie et supplantent les anciennes représentations philosophiques et religieuses du concept scientifique de l'Univers qui s'y étaient enracinées.

    La première de ces notions, c'est l'importance du nombre, qui se manifeste si nettement dans le domaine des phénomènes biologiques, considérés à l'échelle planétaire.

    Le nombre y règne comme il règne dans le mouvement des corps célestes et commence à se révéler à notre pensée dans le monde des systèmes complexes de l'atome et de ses combinaisons. Le mouvement déterminé par la multiplication des matières vivantes sur la surface de la planète, la translation de l'énergie par elles créée, sont aussi immuables, aussi déterminés, aussi soumis au calcul que le mouvement des corps célestes.

    Ils peuvent être prévus comme ces derniers. La nature vivante, étincelante, toujours changeante, pleine de couleurs, d'accidents, d'une variété qui ne peut être embrassée par nos sens, est au fond basée sur la mesure et le nombre. Elle est harmonieuse dans ses plus intimes manifestations et fait, de par son essence même, partie d'un mécanisme seul et unique, complet et harmonieux. Le poids, les dimensions, le nombre des générations des organismes, la vitesse de transmission de la vie sont quantitativement déterminés par la dimension de la planète et de sa matière gazeuse. Et comme conséquence de ces faits, l'effet final de la répercussion de la vie sur les processus chimiques de la Terre, sur la composition et le caractère de l'atmosphère, doit être soumis au calcul et à une prévision précise. La planète et l'organisme sont unis d'un lien numérique indissoluble.

    Le nombre doit gouverner le domaine de la vie sur notre planète, comme il gouverne celui des grands phénomènes du Cosmos.

    Sous ce rapport, il n'existe pas de différence entre la matière vivante et la matière brute.

XXIX

    La seconde déduction embrasse avec plus de profondeur encore les problèmes philosophiques.

    C'est la nécessite d'admettre dans ce domaine l'existence d'un Ordre déterminé de la Nature, non accidentel, l'absence de toute manifestation d'un Hasard inerte et indifférent. L'idée d'un Hasard aveugle a souvent assujetti la pensée des dernières générations de savants, bien que cette idée n'ait jamais eu de racines dans les données obtenues par leur travail scientifique. Elle a pénétré dans le milieu scientifique du dehors ; elle est venue des conceptions et intuitions philosophiques et religieuses.

    Pendant longtemps nous n'avons pas senti son influence pernicieuse, qui avait borné le domaine de la pensée scientifique et nous avait empêché d'examiner la nature environnante avec les yeux ouverts.

    Un hasard aveugle ou absurde, un monde de particules non liées entre elles et douées de mouvements désordonnés, une construction de l'Univers dans lequel il n'y a pas de place pour les phénomènes qui se révèlent à nous dans notre entendement et notre conscience, tout cela, au cours du temps, avec chaque nouvelle acquisition scientifique, nous paraît plus pâle, nous fait toujours davantage l'effet d'un gazouillement scientifique enfantin, qui ne répond pas à la vérité.

    A chaque pas surgissent des relations empiriques qui nous mènent vers des analogies avec un mécanisme et contredisent l'hypothèse d'une aveugle collision de hasards.

    Nous marchons infailliblement vers une nouvelle représentation scientifique de l'Univers, étrangère aux anciennes conceptions rationalistes et matérialistes, ainsi qu'aux représentations des XVIIIe et XIXe siècles qui s'y rapportent. Les constructions de ces courants philosophiques et religieux sont infailliblement condamnées à disparaître de notre conception scientifique de la Nature. Notre matière, notre atome, notre espace rempli de rayonnements, avec sa symétrie, l'existence de l'intelligence et de la conscience dans le Cosmos se trouvent en contradiction flagrante avec la matière, avec l'atome, avec l'espace et le Cosmos dénués d'entendement et de conscience, qui pendant si longtemps ont contenté les chercheurs de la vérité scientifique. Ces notions surannées ne provenaient pas de la recherche scientifique ; elles avaient été tirées par eux du dehors, d'un domaine de la vie spirituelle de l'humanité de par sa nature étranger à la Science.

    Nous ignorons où nous amèneront les acquisitions nouvelles de la Science. Nous traversons aujourd'hui une période qui déjà à plusieurs reprises s'est répétée dans l'histoire de la pensée, période de création scientifique intense. On peut comparer cette intensité non à une révolution, mais à une explosion de la création scientifique, qui en dehors de la volonté des hommes change leur compréhension de l'Univers. Ce nouveau changement s'effectue par une voie à nous inconnue, mais non accidentelle, et est soumis à des lois déterminées.

    Cette explosion est la manifestation d'un effort créateur. C'est la création de valeurs nouvelles qui dans le domaine scientifique démolit les constructions anciennes. Mais jamais l'édifice ancien n'est complètement détruit. Il se trouve toujours qu'une grande partie des valeurs nouvelles était déjà renfermée dans les anciennes représentations, sans y avoir été aperçue. Des bases anciennes réapparaissent donc dans des idées nouvelles, dans l'idée de l'existence des corrélations numérique et symétrique des parties avec le Tout, dans l'idée de l'Ordre de la Nature, dont une des manifestations est la représentation de la vie comme une partie inhérente au mécanisme de l'écorce terrestre. Des organismes sont en une corrélation parfaite avec la planète, dont ils forment une partie indissoluble, et la planète est en corrélation avec eux.

    L'explication de ce phénomène dépasse évidemment les cadres de la pensée scientifique contemporaine.

    Mais le fait empirique existe. Notre pensée établit avec une précision toujours croissante l'idée de l'existence de l'Ordre de la Nature.

    Cette idée doit infailliblement pénétrer jusqu'au fond notre pensée. L'idée de l'Ordre immuable qui se dégage du développement scientifique contemporain est une notion qui sépare nettement le concept de l'Univers scientifique de l'avenir prochain de celui qui s'éloigne de nous toujours davantage et qui avait régné aux jours de notre jeunesse.


    W. Vernadsky,
Membre de l'Académie des Sciences de l'U.R.S.S.

Conférence faite à Brno, à l'Université Masaryk, en janvier 1926, et à la Société des Naturalistes de Leningrad (Saint-Pétersbourg), en avril 1926. Le texte in extenso est publié en langue russe dans le Bulletin de l’Académie des Sciences de l'Union des Républ. Soviét., 1926. Cf. mes Etudes biogéochimiques, I-II.

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22 mars 2009 7 22 /03 /mars /2009 16:26

Trouvée sur Alerte environnement, cette très bonne interview de Sylvie Brunel, qui vient de publier le livre «A qui profite le développement durable ?».

Présentation de l'éditeur:

"Faites un geste pour la planète". Aujourd'hui le développement durable est partout, mis à toutes les sauces. Les grands prédicateurs de cette nouvelle religion nous somment de nous comporter en " écocitoyen ", sous peine de sacrifier les générations futures. Pour autant, le développement durable profite-t-il à tous? Aux entreprises, aux ONG, sans aucun doute: le business environnemental fait recette. Les pays riches y trouvent leur compte. Mais les pauvres, au Nord comme au Sud? Rien n'est moins sûr...





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15 mars 2009 7 15 /03 /mars /2009 14:10
...grâce aux "énergies" "renouvelables" :


Ceci est un champs d'éoliennes en Californie, dont le gouverneur a décidé que "Greener is better" !

A vue de nez, ce sont des éoliennes d'une capacité nominale de 0,5 MW. Je vous laisse compter, sachant que le vent ne souffle pas toujours à la vitesse optimale, n'est-ce pas ?
Comparez ensuite avec le rendement d'une tranche nucléaire française (entre 900 et 1400 MW).

Concluez.

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17 février 2009 2 17 /02 /février /2009 14:59
   Voici l'avant dernier Fusion, le hors-série n°3, tiré en septembre 2006 et consacré aux mythes et réalités de l'écologie moderne.
   Malthusianisme radical, catastrophisme systématique infondé, célèbres ONGs dévoyées, collusion entre écologisme et haute finance internationale, fraude de la modélisation climatique, ce numéro rebrousse-poils en énerva beaucoup, en choqua certains et fortifia les autres.

   Bonne lecture.

Fhs3.1 - Editorial Fusion hors-série n°3 - Emmanuel Grenier
Fhs3.2 - Brèves
Fhs3.3 - Réchauffement climatique, mythes et réalités - Emmanuel Grenier
Fhs3.4 - Les moustiques, le réchauffement global et la désinformation - Paul Reiter
Fhs3.5 - Les véritables objectifs des mouvements écologistes - Emmanuel Grenier
Fhs3.6 - La véritable nature de WWF - Emmanuel Grenier
Fhs3.7 - Malthus n'est pas mort - Gérard-François Dumont
Fhs3.8 - NSSM 200, le rapport qui accuse les Etats-Unis - Antonio Gaspari
Fhs3.9 - NSSM 200. Conséquences de l'accroissement de la population mondial pour la sécurité des Etats-Unis (Extraits) - Henry Kissinger
Fhs3.10 - Baleines; Greenpeace battu sur son terrain - Emmanuel Grenier
Fhs3.11 - La victoire du Brésil contre Greenpeace - Entretien avec Guilherme Camargo, directeur de l'association brésilienne de l'énergie nucléaire (ABEN).
Fhs3.12 - L'écologisme en France - Emmanuel Grenier
Fhs3.13 - Le concept de Biosphère selon Vernadski - Lyndon H. LaRouche
Fhs3.14 - Les dix péchés capitaux de la communication scientifique en matière de sécurité environnementale - Bernard Beauzamy
Fhs3.15 - Revue de livre

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15 février 2009 7 15 /02 /février /2009 00:16
   Je vous présente ici le Fusion hors-série n°2, titré : "Economie : le triple choc."

   Ce numéro de la revue Fusion est assez extraordinaire : il a été imprimé et distribué sur la période juillet août 2006, soit un an avant le déclenchement de la désintégration financière internationale dans laquelle nous nous traînons lamentablement.

   Les auteurs des articles de la revue - actifs ici - avaient correctement compris la nature de la crise et l'avaient largement anticipée, comme vous pourrez le lire. Outre les analyses et les propositions que vous y trouverez, qui s'inspirent du New-Deal de Roosevelt, du Plan français et de la tradition d'économie politique dite "américaine", ou physique, vous aurez le plaisir d'y découvrir des textes de références d'auteurs et d'acteurs de cette tradition.

   La désintégration du système financier international est entrée dans une phase d'explosion en juillet 2007. Les causes de cette crise sont connues : monétarisme, dérégulation, spéculations, démantèlement des états-nations, rejet des politiques protectionnistes, cartelisations transnationales industrielles, dumping social international, criminalisation de l'économie (blanchiement institutionalisé des profits du trafic de drogue).

   Aujourd'hui, les chefs-d'états semblent pétrifiés par l'ampleur de la catastrophe. Pour les responsables politiques, économiques et sociaux, cette crise est un choc et exige d'eux une révolution cognitive s'ils prétendent pouvoir défendre le bien commun des peuples qu'ils ont en charge. Ce numéro de Fusion a été conçu dans ce but, un an avant l'explosion. Il est toujours d'actualité, comme vous le verrez.

   Faites-le circuler, transmettez-le à vos élus, aux responsables économiques, aux entrepreneurs, et à tous les citoyens.


Bonne lecture.



Fhs2.1 - Editorial Fusion Hors-série n°2 - Pierre-Yves Guignard
Fhs2.2 - L'économie, la plus belle des sciences - Jacques Cheminade
Fhs2.3 - Le triple choc. Comprendre la crise globale - Jonathan Tennenbaum
Fhs2.4 - Société et économie - Gottfried Wilhelm Leibniz
Fhs2.5 - Rapport sur une banque nationale (extraits) - Alexander Hamilton
Fhs2.6 - La théorie des forces productives et la théorie des valeurs - Friedrich List
Fhs2.7 - Découvertes et inventions - Abraham Lincoln
Fhs2.8 - De l'occupation de la terre - Henry Carey
Fhs2.9 - Le système mondial suit la même courbe que celle de l'effondrement de Weimar - Lyndon H. LaRouche
Fhs2.10 - La caractéristique de la crise actuelle. En quoi le monde a changé - Lyndon H. LaRouche
Fhs2.11 - Principes d'économie physique; La clé du développement est à l'est - Jonathan Tennenbaum
Fhs2.12 - La planification, 'ardente obligation' et inspiration pour aujourd'hui - Pierre Caron
Fhs2.13 - Du New-Deal de Roosevelt à la renaissance de la Russie; La place de l'Europe - Benoît Chalifoux

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14 février 2009 6 14 /02 /février /2009 14:25
   Le Fusion spécial "Nucléaire : les 50 prochaines années", édité et distribué à plus de 10000 exemplaires au 4ème trimestre 2005, se voulait précurseur de la renaissance mondiale du nucléaire que l'on voit aujourd'hui se produire sur la planète. Son contenu, technique autant qu'historique, épistémologique et philosophique, en a fait pour certains (et pas des moindres) une référence.
   Et puis, la couverture est spectaculaire, n'est-ce pas ?

   Bonne lecture.


F106.1 - Editorial Fusion Hors-Série 1 (n°106) - Emmanuel Grenier
F106.2 - L'expérience de Mizuno - Fabrice David
F106.3 - Icare, Dédale et la science - Philippe Messer
F106.4 - Le nucléaire civil, 50 ans déjà ! - Benoit Chalifoux
F106.5 - Comment construire 6000 réacteurs nucléaires d'ici 2050 - James Muckerheide
F106.6 - Le dessalement de l'eau par le nucléaire - Hycham Basta, Benoit Chalifoux
F106.7 - PBMR, le réacteur multi-fonction de demain - Entretien avec Jaco Kriek, PDG de PBMR (PTY) Ltd.
F106.8 - Les énergies du futur - Yves Paumier
F106.9 - Un pari audacieux, la propulsion spatiale par fusion - Philippe Jamet
F106.10 - Les déchets, le point fort de l'industrie nucléaire - Emmanuel Grenier
F106.11 - Santé, deux révélations - Emmanuel Grenier
F106.12 - Dynamis versus Energeïa - Jonathan Tennenbaum
F106.13 - Vernadski. Le nucléaire, outil de tranformation de la planète - Emmanuel Grenier
F106.14 - La Biosphère et la Noosphère - Vladimir I. Vernadski
F106.15 - La stratégie Vernadski - Lyndon H. LaRouche

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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 22:51
Vladimir-I-Vernadski-copie-1.jpgArticle tiré de la revue Fusion n°83 

Sur la différence énergéticomatérielle fondamentale entre les corps naturels vivants et non vivants dans la biosphère .
VLADIMIR VERNADSKI
1ère partie - 2nde partie

Le texte qui suit est un article que Vernadski a écrit en 1938 et qui n’a été publié en russe qu’en 1993, en annexe à une biographie. Il a été traduit en anglais par Jonathan Tennenbaum, puis en français par Emmanuel Grenier. Des légères coupures ont été opérées, signalées par des points de suspension entre crochets. Le texte que nous publions représente environ 80 % du texte original. Il ne s’agit donc certainement pas d’une traduction de référence, mais d’un premier jet qui pourra être ultérieurement amélioré. Vu le grand intérêt de ce texte, nous n’avons pas cru devoir attendre plus longtemps pour le présenter au public français.



Avant-propos :
   Travaillant actuellement sur le livre Les concepts de base de la biogéochimie en connexion avec la connaissance scientifique de la Nature, l’auteur considère qu’il vaut la peine de ne pas attendre qu’il soit fini – ce qui risque de prendre encore du temps – et de développer séparément certaines des questions spécifiques qu’il traite dans ce livre, sur lesquelles il souhaite attirer l’attention maintenant. L’un de ces problèmes, qui fait suite aux Questions de biogéochimie, est la caractéristique énergético-matérielle fondamentale de la matière vivante de la biosphère, qui la distingue de tous les autres objets et processus de la Nature ; distinction qui ne souffre aucune exception. L’auteur en est venu à cette question en étudiant la vie en tant qu’agrégat * de tous les organismes vivants sur la planète – autrement dit la matière vivante – en examinant la structure spatiale du domaine habité par la matière vivante – la biosphère –, en tant qu’unique région de la planète légitimement connectée avec les espaces extraterrestres. L’auteur estime que personne d’autre n’a encore approché le phénomène de la vie de ce point de vue. Dans le même temps, cette nouvelle approche fait émerger des conséquences importantes, qui peuvent être vérifiées par l’expérience et l’observation. L’auteur considère que le tableau publié ci-dessous [résumant les distinctions essentielles entre les matières vivante et non vivante, NdT] ne suppose aucune hypothèse spéciale ou théorie mais constitue une présentation des faits scientifiques et des généralisations empiriques qui découlent de ces faits. Le tableau ne sort pas du cadre de la science pour entrer dans celui de réflexions philosophiques mais il manifeste en même temps, de façon aiguë et décisive, l’importance de la vie – la matière vivante – dans la biosphère, en tant que processus planétaire. En connexion avec les questions générales soulevées ici, l’auteur aborde, dans une troisième publication devant être imprimée sous le titre Sur les états de l’espace physique, une question encore plus générale qui ne concerne pas seulement la bio-géochimie, mais toutes les études de la nature et qui est indissolublement liée aux problèmes de la biogéochimie.
Les sujets de ces deux publications sont intimement reliés.

Moscou, septembre 1938.

  * Vernadski utilise ici un terme propre à la chimie minérale (les roches sont des agrégats de divers minéraux) mais l’étend à la matière vivante qu’il considère comme la somme hétéroclite de tous les processus vivants, qu’ils appartiennent au règne animal ou végétal, NdT.



 I. Concepts de base

 La matière vivante, la biosphère en tant qu’enveloppe de la planète.
Son nouvel état géologique – la noosphère. Les corps naturels et les processus naturels de la biosphère – matière inerte, matière vivante et matière bio-inerte. Leur système – l’appareil scientifique. Les orientations chirales préférentielles de la matière vivante en tant que manifestation de l’état de l’espace occupé par cette matière. L’énergie libre de la biosphère en tant que manifestation de l’énergie biogéochimique de la matière vivante dans la biosphère.


1.
   Dans
mes travaux en biogéochimie, que j’ai poursuivi systématiquement et sans interruption depuis 1916, j’ai récemment formulé des conclusions qui soulignent la distinction profonde, infranchissable – de caractère énergético-matériel – entre les processus de la vie et tous les autres processus intervenant dans la biosphère ; distinction qui peut certes être exprimée en termes quantitatifs exacts, mais qui appelle en même temps de nouveaux travaux mathématiques dans le domaine de la géométrie. Ce qui nous est révélé, c’est un nouveau domaine de l’étude des processus vivants, qui ouvre de nouvelles facettes des phénomènes de la vie et de nouvelles possibilités pour le travail scientifique. Je considère donc utile d’attirer l’attention sur ces conceptions plutôt que d’attendre d’avoir terminé ma refondation de la biogéochimie.

2.
   Les
fondations de la biogéochimie reposent sur quelques conceptions essentielles, qui ne présupposent pas d’hypothèse spécifique mais constituent des concepts scientifiques clairs et précis et des généralisations scientifiques d’expériences et d’observations empiriques des naturalistes. Surtout, le concept de matière vivante dans la biosphère représente une de ces généralisations scientifiques empiriques – irréfutable, en tant que fait correctement et scientifiquement établi.
   La matière vivante de la biosphère est l’agrégat de tous ses organismes vivants.
   Dans la suite du texte, j’utiliserai, au lieu du concept de vie, le concept de matière vivante au sens que je viens d’indiquer. Du point de vue de la biosphère, l’organisme vivant individuel est perdu de vue. C’est l’agrégat des organismes, la matière vivante, qui occupe la première place. Cependant, en biogéochimie – dans certains cas rigoureusement définis – il est nécessaire de porter son attention sur l’organisme discret, sur son individualité. Il est indispensable de le faire lorsque, comme nous le verrons bientôt, l’activité de l’homme apparaît comme facteur géologique, dans lequel la personnalité individuelle apparaît quelquefois clairement et se reflète dans des phénomènes à grande échelle de caractère planétaire. La personnalité humaine change, accélère et exprime son importance considérable par son action sur la biosphère.
   Nous vivons une nouvelle époque géologique. L’homme, par son travail, et sa relation consciente à la vie, est en train de transformer la Terre – la région géologique de la vie, la biosphère. L’homme fait naître un nouvel état de la biosphère : à travers son travail et sa conscience, la biosphère est en transition vers la noosphère. L’homme est en train de créer de nouveaux processus biogéochimiques qui n’avaient encore jamais existé. On est, par exemple, en train de créer sur notre planète des masses énormes de nouveaux métaux purs ou de leurs alliages, qui n’avaient jamais existé sous cette forme auparavant, comme l’aluminium, le magnésium ou le calcium.
   La vie animale ou végétale se change et se réorganise. De la façon la plus drastique. De nouvelles espèces et de nouvelles races sont générées.
   La face de la Terre change de façon drastique. L’étape de la noosphère est en train d’émerger. La biosphère de la Terre vit une gigantesque floraison, dont le développement futur nous apparaît grandiose.
   Dans ce processus géologique, qui est fondamentalement un processus biogéochimique, un seul individu vivant – une grande personnalité, qu’il s’agisse d’un scientifique, d’un inventeur ou d’un dirigeant politique – peut avoir un rôle fondamental, décisif, directeur et se manifester en tant que force géologique. L’émergence de ces individualités dans des processus ayant une grande importance biogéochimique est un nouveau phénomène planétaire.
   Il émerge et se manifeste de façon toujours plus aiguë et profonde au cours du temps, depuis les dix mille dernières années, à comparer aux milliards d’années de l’histoire de la biosphère, pendant lesquels ce phénomène n’existait pas.

3.
   A
côté du concept de matière vivante, nous proposons deux autres généralisations empiriques : le concept du milieu de vie, la biosphère ; et le concept de corps naturel vivant.
   La matière vivante n’existe sur notre planète que dans la biosphère, qui est la région de la vie.
   Cette caractérisation définit les limites de la biosphère de façon très précise. Selon cette définition, l’ensemble de la troposphère appartient à la biosphère. Aujourd’hui, des organismes vivants – les hommes et leurs compagnons inévitables : insectes, plantes, micro-organismes – pénètrent encore plus loin, seuls ou à l’aide de machines, jusque dans la stratosphère. Dans le même temps, l’humanité civilisée (toujours avec ses compagnons inévitables) pénètre à plusieurs kilomètres en dessous de la surface de la planète, au-delà des limites du relief de surface de la planète en contact avec la biosphère. La science actuelle révèle la signification planétaire de la découverte, à la fin du siècle dernier, d’organismes vivants – de la matière vivant microbienne, principalement anaérobie – dans les régions souterraines à plus de trois kilomètres de profondeur, et sans doute encore plus profondes. Les frontières inférieures de la biosphère s’étendent ainsi à plusieurs kilomètres en dessous du niveau de la géoïde.
   L’ensemble des océans appartient à la biosphère.
   La biosphère constitue une enveloppe géologique bien définie, nettement différenciée de toutes les autres couches géologiques de notre planète. Cela n’est pas seulement dû au fait que la biosphère est habitée par une matière vivante qui a une énorme importance en tant que force géologique, retravaillant la biosphère en profondeur et transformant ses propriétés physiques, chimiques et mécaniques. C’est aussi la seule enveloppe de notre planète à recevoir l’énergie extraterrestre, transformée par la matière vivante.
   La principale source de cette énergie est le Soleil. L’énergie du Soleil – thermique, lumineuse et chimique – constitue, avec l’énergie des éléments chimiques, la principale source de production de matière vivante.
   La matière vivante traverse l’ensemble de la biosphère et, dans une grande mesure, la crée. Elle accumule l’énergie de la biosphère, principalement l’énergie thermique et chimique du rayonnement solaire, ainsi que l’énergie chimique des atomes de la Terre. Il est possible que les éléments radioactifs jouent aussi un rôle.

4.
   La
substance énergético-matérielle qui constitue la biosphère est profondément hétérogène. De ce point de vue, nous devons distinguer l’importante masse de matière qui n’appartient pas aux organismes vivants et que j’appelle matière inerte – matière non vivante. L’essentiel, en termes de masse, est formé de roches solides, mais le plus gros volume est liquide et gazeux : l’océan et l’atmosphère.
   Il existe une connexion matérielle (respectivement énergétique) unifiée, ininterrompue entre la matière vivante et la matière inerte, que l’on retrouve dans les processus de respiration, de nourriture et de reproduction, nécessaires à sa survie : une migration biogénique d’atomes des éléments chimiques, des corps inertes de la biosphère vers les corps vivants et en sens inverse.
   Cela prend la forme d’un mouvement – le départ et l’arrivée d’éléments et de composés chimiques spécifiques de et vers les organismes vivants, en liaison avec leurs processus de nutrition, de respiration, d’excrétion et de reproduction, caractéristiques de la matière vivante. Ces processus définissent l’énergie biogéochimique de la matière vivante, dont la principale manifestation est la reproduction et la propagation de la matière vivante.
   Tous ces phénomènes de migration biogénique et d’énergie biogéochimique sont définis par les dimensions, la constitution chimique et l’énergie de la biosphère.
   De ce fait, seuls des organismes bien spécifiques (pas n’importe quelle sorte d’organisme arbitraire) peuvent exister dans la biosphère, ceux qui sont déterminés par la structure de la biosphère. Les organismes vivants et la matière vivante sont des fonctions légitimes de la biosphère. Les gens tendent à l’oublier facilement. Et de façon erronée – surtout pour leurs considérations philosophiques, mais aussi en biologie – ils opposent l’organisme vivant à son milieu, comme s’il s’agissait de deux objets indépendants. Cette sorte d’opposition est une erreur logique. On la retrouve surtout dans la philosophie et elle affaiblit le fondement de ses conclusions. Mais je ne cesserai de revenir sur ce point.

5.
   Le
concept de corps naturel n’est pas moins important. De façon étrange, ce concept de base, qui par essence traverse toutes les sciences de la nature, est habituellement négligé et n’est pas soumis à l’analyse logique. Pourtant, les scientifiques utilisent ce concept, inconsciemment, à chaque étape de leur travail.
   Mon maître V.V. Dokoutchaïev, dans son travail créatif en pédologie, propose que le sol est un corps naturel spécial, distinct des autres matériaux solides de la croûte terrestre.
   Comme cela est bien connu, il a pu démontrer cette thèse et permettre ainsi à ses contemporains de saisir, grâce à un exemple frappant de synthèse réussie, les bases du travail créatif dans l’étude de la nature.
   Toutefois, ces type d’événements sont rares dans l’histoire de la science et dans la vie scientifique actuelle. D’ordinaire, les débats ne touchent pas aux hypothèses fondamentales de la vie scientifique.
   Les gens n’en parlent pas ; ils les oublient. En y réfléchissant, on se convainc aisément que les concepts de corps naturel et de phénomènes ou processus naturels sont à la base de toutes les sciences naturelles.
   Dans nos commentaires ultérieurs, nous ne toucherons qu’à la biosphère et considérerons seulement les processus impliquant la matière vivante.
   Les scientifiques n’étudient dans la biosphère que les objets qui y sont générés par des forces internes et que les processus qui naissent de ces forces. Les objets qu’ils traitent peuvent être appelés corps naturels, véritables ou réels, de la biosphère.
   La tâche de la science consiste à estimer, décrire et définir tous les corps et les processus naturels qui existent ou ont existé dans la biosphère. Ce travail implique des générations de scientifiques, et des milliards et des milliards de faits ainsi que de généralisations scientifiques – c’est-à-dire des corps et des processus naturels – que l’on peut saisir de façon scientifique, dont on peut rendre compte et que l’on peut mettre en système.
   C’est la base de la science ; à partir de là, on construit des généralisations empiriques, avant de revenir aux corps et processus naturels.
   C’est par ce processus que l’on génère le contenu de base de la science ; contenu dont, curieusement, il n’existe pas jusqu’à maintenant d’expression faisant l’unanimité. J’en suis venu à l’appeler appareillage scientifique.
   Cet appareillage a commencé à se former en astronomie des milliers d’années avant notre ère et nous a été transmis sous forme de données numériques sur les positions du Soleil, des étoiles, et des planètes dans les recueils helléniques (Hipparque, Ptolémée). Ce travail a été relancé au Moyen Age dans l’Asie centrale.
   Les chroniqueurs rapportent sans cesse des descriptions précises de comètes, de météorites, de boules de feu, etc. Au début du XIVe siècle, une accumulation rapide de ce type de matériel a permis les premières généralisations. Mais même en astronomie, le processus de base, se développant constamment et rapidement à partir de ce point, n’a vraiment commencé à grande échelle qu’au XVIIIe siècle. Dans ce siècle – le siècle des sciences naturelles descriptives – les tentatives d’observer, de décrire et de rendre compte précisément de chaque corps naturel, ainsi que d’enregistrer tout phénomène naturel, devinrent une tâche consciente des sciences naturelles exactes. Linné (1707- 1778), se basant sur les travaux des naturalistes qui l’avaient précédé, introduisit le concept de système de la Nature et calcula pour la première fois le nombre d’espèces d’animaux et de plantes – espèces de la matière vivante homogène qui peuplaient la biosphère. En tout, il comptabilisa 13 724 espèces différentes d’organismes vivants, et beaucoup moins d’espèces de roches et de minéraux.
   Aujourd’hui, le nombre d’espèces de plantes approche les deux cent mille et excède peut-être les trois cent mille. Le nombre estimé des espèces animales approche les huit cent mille et atteint sans doute plusieurs millions, voire dépasse les dix millions. Le système de la Nature, pris dans ce sens large, correspond à ce que j’ai appelé appareillage scientifique.
   L’accumulation colossale de données numériques correspondant aux propriétés chimiques et physiques de la matière – qui se déroule à la façon d’une boule de neige, sans cesse croissante avec le temps, obtenue principalement par des expériences scientifiques et non par l’observation de la biosphère ou par un travail scientifique commençant dans la biosphère, excède de plusieurs ordres de grandeur la quantité de corps naturels vivants et n’a pas de limites – rend selon moi la caractérisation de ces données comme un système naturel, peu claire logiquement, pleine d’inconvénients et inutile dans la pratique.
   Pour cette raison, le concept d’appareillage scientifique, que nous ne possédons que par le fait qu’il a été réduit à un système scientifique, est plus simple. Il comprend à la fois le système de la Nature et l’appareillage scientifique des communautés humaines, pleinement inspiré par la personnalité individuelle.

6.
   Tout
objet de science naturelle est un corps naturel ou un processus naturel. A l’heure actuelle, des milliards de milliards, sinon plus, de corps et de processus naturels ont été scientifiquement réunis, enregistrés et définis dans le système de l’appareillage scientifique. Le nombre des corps et processus s’accroît constamment et le système de l’appareillage scientifique est en amélioration constante. De ce fait, nous sommes confrontés, de façon toujours plus critique, à une accumulation infinie de faits scientifiques.       C’est à partir de celle-ci que l’on tire le contenu de base de la science. Retravaillés par des généralisations scientifiques, des hypothèses conditionnelles et des théories, et soumis à l’analyse et à la déduction mathématique, ils deviennent la vérité scientifique, dont la précision et la profondeur augmentent avec chaque génération.
   Cette science exacte se distingue de la philosophie, de la religion et de l’art, où il n’existe pas d’appareillage scientifique et où la vérité scientifique, parfois révélée par une intuition créatrice, ne peut être acceptée que lorsqu’elle a été scientifiquement validée. Cette intuition créatrice est parfois bien en avance sur la compréhension scientifique et dans ces domaines de la créativité humaine, les vérités scientifiques de l’avenir se dévoilent parfois, encore floues pour les contemporains. Cependant, nous ne pouvons les traiter en dehors de la science, sans les fonder sur l’appareillage scientifique.

7.
   Il
est possible de distinguer trois types de corps naturels dans la biosphère : les corps vivants (plantes, insectes, etc.), les corps inertes (pierres, quartz) et les corps bioinertes (sol, eau des lacs, etc.) La biosphère se décompose en domaines nettement délimités que sont les corps vivants, inertes et bio-inertes – les eaux, la matière vivante, les roches montagneuses, l’air, etc. Il y a une transition des corps vivants vers les corps inertes au moment de la mort ; lorsque les corps vivants cessent d’exister en tant que tels, ils se transforment en roche organogénique (par exemple les biolithes) et en Corps inertes
comme les gaz. Les biolithes sont souvent des corps bio-inertes. On n’a jamais observé de génération spontanée d’un organisme vivant à partir de corps inertes : le principe de F. Redi (toute vie vient de la vie) n’est jamais violé. Le concept de corps naturels inertes (morts) et vivants en tant qu’objets naturels bien distincts est une notion ancienne, enseignée au long des millénaires – un concept relevant d’un sain bon sens. Il ne peut pas être mis en doute et est clairement intelligible pour tous.
   Après des siècles de travaux scientifiques, on n’a relevé que très peu de cas douteux où l’on se demande si un corps naturel spécifique doit être considéré comme un Corps vivant
ou inerte, ou encore si un phénomène naturel donné est une manifestation de processus vivants ou non vivants.
   La question des virus relève de ces rares cas et c’en est sans doute l’illustration la plus profonde. [...]

8.
   Le
concept de corps naturel bioinerte est nouveau – défini en termes biogéochimiques précis et distinct des concepts de corps naturels vivants et inertes. Les corps naturels de ce type se manifestent très clairement dans la biosphère et jouent un grand rôle dans son organisation.
   Les corps bio-inertes sont caractéristiques de la biosphère. Ce sont des structures légitimes, se composant simultanément de corps vivants et inertes (les sols, par exemple), pour lesquelles les propriétés physicochimiques exigent des corrections – parfois très grandes – par rapport aux résultats que l’on obtiendrait si, en les étudiant, on ignorait l’activité de la matière vivante qui y existe. La migration biogénique des éléments chimiques (les atomes) joue un grand rôle dans leurs propriétés – très souvent un rôle dominant.
   Tout sol est un corps bio-inerte typique, comme le reconnaissait déjà clairement V.V. Dokoutchaïev. La très grande majorité des eaux terrestres sont des corps bio-inertes. Les cas où la matière vivante ne joue pas un rôle fondamental sont très isolés.
   Le processus d’altération des roches est un processus bio-inerte – fait habituellement oublié. Ce fait explique à mon sens l’arriération de ce domaine de la biologie chimique (l’altération de la croûte terrestre) par rapport au niveau actuel de la connaissance. L’approche biogéochimique devrait contribuer grandement à résoudre ce problème.

9.
   Jusqu’ici,
je n’ai pas franchi les bornes des concepts : matière vivante, biosphère, corps et processus naturels (inertes, vivants et bio-inertes) – concepts basés sur un énorme matériau d’expériences et observations empiriques. Ces concepts ne peuvent soulever aucun doute théorique et ils ne nécessitent pour être compris aucune nouvelle hypothèse scientifique ou construction théorique. On peut donc procéder calmement au travail, si fructueux en science, de la généralisation de faits scientifiques accumulés et de leur construction en système.
   Toutefois, pour la compréhension de ce qui va suivre, je dois nécessairement toucher à deux nouveaux phénomènes de grande importance, dont l’étude scientifique ne peut être effectuée sur la base de simples généralisations de faits scientifiques, mais qui nécessitent l’introduction de nouveaux concepts et la recherche d’une nouvelle forme de cognition de ces faits. Chacun de ces phénomènes est encore très peu compris d’un point de vue théorique et leur importance scientifique n’est pas reconnue.
   Ils se trouvent aujourd’hui à la frontière de la connaissance scientifique contemporaine. Il s’agit, premièrement, du concept de chiralité (dissymétrie moléculaire) et deuxièmement du concept d’énergie biogéochimique.
   La chiralité est un concept qui existe depuis les temps anciens mais qui n’a presque jamais été abordé de façon scientifique ou philosophique. Louis Pasteur est le premier à avoir attiré l’attention sur son importance fondamentale pour la compréhension de la vie – de l’organisme vivant, de la matière vivante.
   Indépendamment de Pasteur, et quelque peu auparavant, Beshan avait réalisé la même chose. Néanmoins, Pasteur comprit la question plus profondément et y identifia un phénomène qui nous permet de pénétrer de façon scientifiquement précise dans ce domaine immense, dont le savant français lui-même ne pouvait prévoir la pleine signification.
   Le concept d’énergie biogéochimique fut introduit par moi en 1925, dans mon rapport à la Fondation Rosenthal à Paris, rapport qui ne fut jamais publié intégralement.
Dans mon livre, je traite cette question aussi complètement que possible aujourd’hui. Examinons d’abord la question de la chiralité dans sa relation à la matière vivante de la biosphère.

10.
   Nous
n’avons besoin, ici, de traiter du cas d’A. Beshan, naturaliste profond et bon expérimentateur.
   Contemporain, ennemi et rival de Pasteur, il lui survécut plusieurs années mais fut incapable de trouver les conditions nécessaires à un travail systématique. Il est parti exactement du même fait que Pasteur – la découverte, au début du XIXe siècle, dans une petite entreprise alsacienne, de la transformation de l’acide racémique ou ses sels en acide tartrique gauche, pendant le développement de la lie de vin (levure). Sur cette base, on a pu établir la production d’acide tartrique gauche. Pasteur et Beshan, tous deux chimistes chevronnés, voyaient dans cette action chimique de la levure, en tant qu’organisme vivant, une propriété unique et exclusive de la vie – la matière vivante – ; quelque chose de non compris, inhabituel, inconnu et apparemment impossible à réaliser par des réactions chimiques ordinaires. Penser et remarquer ces faits – voir le problème qu’ils recelaient – était déjà un grand accomplissement, mais ce n’était qu’une première étape. Il fallait encore étudier le phénomène et l’exprimer en faits scientifiques précis.
   Les circonstances de la vie de Beshan ne le lui permirent pas. Pasteur, de son côté, relia le nouveau phénomène avec la propriété très spéciale des cristaux énantiomorphes, caractérisant – sous l’influence de la vie – les acides et les sels racémiques.
   Un énantiomère était produit – le gauche ou le droit seulement, mais pas l’autre, peut être consommé par l’organisme. Pasteur y vit une violation nette de la loi de symétrie cristalline. Cette violation tenait au fait que des formes énantiomorphes manifestaient des degrés de stabilité complètement différents à l’intérieur des corps vivants, faisant preuve de comportement chimique très différent – jamais observé autrement dans les corps naturels inertes. Evidemment, puisque ces derniers sont incapables de produire cet effet.
   Il appela ce phénomène dissymétrie mais n’attira pas l’attention dessus et ne le relia pas aux chiralités que l’on retrouve normalement dans la matière vivante, dans ses structures morphologiques et physiologiques. Il étudia le phénomène comme un cristallographe et un chimiste, mais pas comme un biologiste. Pasteur lui-même ne fournit pas de définition précise de la dissymétrie et ne considérait pas les changements intervenus en cristallographie lorsqu’il retourna à ces problèmes à la fin de sa vie.
   Mais la découverte par Pasteur de la dissymétrie moléculaire, complètement analogue à la dissymétrie des cristaux polyhédriques, fut beaucoup plus importante. Il lança ainsi une science complètement nouvelle, la stéréochimie. La chimie s’enrichit ainsi du concept d’asymétrie (c’està- dire l’absence de symétrie dans la configuration spatiale environnant un atome de carbone). Ce terme est utilisé dans des sens complètement différents en chimie et en physique, ce qui génère des confusions.

11.
   Une
confusion survint qui interféra avec ces travaux. La dissymétrie moléculaire, découverte par Pasteur, montrait qu’il apparaissait dans les formes chimiques reflétant la présence de matière vivante, y compris dans les solutions, une non-équivalence des structures atomiques gauche et droite. Elles sont chimiquement distinctes dans la matière vivante, mais chimiquement identique dans un milieu chimique inerte. Pasteur ne savait pas qu’il s’agissait essentiellement (comme on le découvrit après sa mort) du même phénomène que celui qu’il avait découvert dans les cristaux. Il avait affaire à un arrangement spatial d’atomes sous formes de spirales gauches et droites, analogues à la structure atomique dans les molécules.
   Cette conclusion émergea de façon précise à partir du concept d’espace cristallin – pour utiliser le langage contemporain – élaboré géométriquement par E.C. Fedorov et K. Schoenflies à la fin du siècle dernier.
   Dans la coïncidence des 230 groupes (en fait 219) avec les arrangements des atomes dans l’espace cristallin, E.C. Fedorov voyait, correctement, une preuve de la structure atomique des composés chimiques.    Ceci fut définitivement démontré au XXe siècle grâce à l’analyse des cristaux par rayons X. Les contemporains de Pasteur – Zeeber, Ampère et Goden – l’avaient pressenti, mais Pasteur n’était pas atteint par l’influence de leurs idées. Après Pasteur, Pierre Curie généralisa le concept de dissymétrie, considérant le phénomène découvert par Pasteur dans les organismes vivants comme un cas particulier, et appliquant le concept de dissymétrie aux phénomènes physiques en général – champs magnétiques, électriques, etc. – en le posant comme un postulat de base.
   Cependant, Curie ne put développer complètement ses idées ; son travail fut interrompu en plein essor par sa mort soudaine. On ne retrouva pas, dans ses papiers, de présentation cohérente de ses résultats. Il suffit de noter que Curie démontra l’existence de formes différentes de « dissymétrie » et conclut logiquement que des phénomènes reliés à une forme donnée de dissymétrie devaient avoir des causes possédant la même forme de dissymétrie. On a l’habitude d’appeler cette conclusion le principe de Curie.
   A cette étape, je crois qu’il est plus correct de laisser de côté le concept et le terme de dissymétrie, et d’employer plutôt la conception plus ancienne, mieux connue, de la différence dans les organismes des orientations main-gauche ou maindroite (chiralité), qui se manifeste si profondément chez l’homme. Puisqu’il existe une théorie (à mon avis fausse) sur l’émergence supposée de la chiralité chez l’homme qui ne serait intervenue qu’au Néolithique, il vaut mieux utiliser la conception plus générale que Curie employait avant sa mort, sur la distinction entre différents états de l’espace. Il ne put élaborer ce concept avant sa mort mais cela correspond parfaitement, en essence, aux différentes formes de géométrie sur lesquelles travaillaient Curie et Pasteur.
   Ce concept était largement connu chez les naturalistes travaillant dans le domaine des sciences naturelles descriptives et persista dans tout le XVIIIe siècle. Le sujet avait souvent trait aux différents états de l’espace sur notre planète, liés à son mouvement orbital autour du Soleil... Pasteur reconnut la possibilité d’états différents de l’espace cosmique et expliquait ainsi le phénomène de la dissymétrie de la matière vivante, découvert par lui. En fait, nous devrions voir dans l’état de l’espace le substrat géométrique de base pour tous les phénomènes temporels et énergétiques qui s’y déroulent.
   Dans le cas présent, ce sera un état de l’espace dans lequel les énantiomères gauche et droite, exprimées sous formes de structures atomiques spirales gauche et droite, sont identiques dans la matière inerte et diffèrentes dans la matière vivante.
   On n’a pas accordé assez d’attention à ce fait, qui est l’une des propriétés géométriques les plus profondes des corps naturels, que ce soit en philosophie, en mathématique ou en sciences de la nature.          Mais chacun de nous y est très familier dans la vie courante. Nous le savons depuis notre enfance, puisque l’être humain est un corps vivant naturel dans lequel les énantiomères droite et gauche sont nettement distinctes l’une de l’autre (y compris en termes chimiques). Par exemple, les gauchers représentent une personne sur 16 000. Ce phénomène a commencé, ces temps derniers, à attirer une plus grande attention, encore insuffisante à mon avis, en biologie.
   Les mathématiciens – en particulier les géomètres – ne peuvent plus l’ignorer mais doivent élaborer ce phénomène géométrique fondamental...
   Je pense qu’il est pertinent de parler, dans ce contexte, d’espace-temps physique, comme Helmholtz le proposa.

12.
   Il
nous faut encore discuter d’un autre phénomène, qui a été à peine abordé par des généralisations scientifiques – celui de l’énergie active de la matière vivante dans la biosphère. R. Maïer, il y a presque cent ans, considérait déjà les manifestations de la matière vivante. Il montra que dans les minéraux organogéniques – les gisements houillers – nous avons affaire à une accumulation d’énergie libre, développée sous cette forme par la matière vivante au Carbonifère, en utilisant l’énergie solaire de cette époque. La forme générale de l’idée – la création et l’accumulation d’énergie libre dans la biosphère par la matière vivante et les processus naturels connectés à la matière vivante – naquit dans beaucoup d’esprits au milieu du XIXe siècle, au moment où le concept d’énergie était développé.
   Je veux en parler plus concrètement ; non pas comme d’une question de base sur la structure énergétique de notre planète mais comme un problème biogéochimique.
   L’énergie libre générée par la matière vivante dans la biosphère, convertie en travail, liée au mouvement des atomes et au mouvement de la matière vivante, fut appelée par moi en 1925 énergie biogéochimique (voir § 17). Etant donné que c’est l’énergie biogéochimique qui distingue nettement la matière vivante de la matière inerte, il est indispensable de mentionner ici ses caractéristiques fondamentales.

13.
   L’énergie
biogéochimique de la matière vivante est intimement liée à trois caractéristiques fondamentales de la matière vivante dans la biosphère : d’abord, l’unité de toute la matière vivante de la biosphère ; ensuite, la génération constante, dans la biosphère, d’énergie libre capable de produire du travail ; enfin, la colonisation de la biosphère par la matière vivante.
   Dans chacun de ces trois cas, l’énergie biogéochimique se manifeste différemment ; prise globalement, l’énergie biogéochimique est inhomogène. En dernière analyse, elle est liée au mouvement de la matière vivante dans la biosphère, aux autres déplacements, actifs ou passifs (liés à la matière vivante), connectée avec la mobilité des masses dans la matière vivante de la biosphère, finalement réductible au mouvement des atomes et des éléments chimiques.
   A partir de ce que j’ai dit, il est clair que l’énergie biogéochimique n’est pas une forme spéciale d’énergie appartenant à la vie. Ce n’est pas l’énergie de la vie que recherchait W. Ostwald, analogue à l’énergie thermique, chimique, lumineuse ou électrique. Elle n’est pas concernée par la loi de conservation de l’énergie mais apparaît dans ce contexte sous des formes d’énergie déjà connues auparavant.
   Nous pouvons maintenant remonter avec précision à la source réelle de l’énergie biogéochimique.
Cette source, en dernière analyse, est l’énergie rayonnante (lumineuse, thermique et chimique [c’est-à-dire ultraviolette, NdT]) du Soleil et l’énergie des éléments chimiques dont sont constitués les corps de matière vivante (énergie thermique et chimique). Il y a probablement une contribution des atomes radioactifs.
   Un calcul quantitatif exact des effets thermiques des processus vivants établit sans aucun doute, à mon avis, la source de cette action.
   Il s’agit, essentiellement, du résultat de l’organisation de la biosphère et de l’organisation de la matière vivante qui peuple la biosphère.
   Je ne puis ici avancer davantage sur ce sujet. Je voudrais simplement mentionner les principales formes de manifestation de cette organisation. La plus importante, c’est l’énergie biogéochimique, reliée à la colonisation de la planète.
   J’ai essayé de la calculer, pour chacune des espèces de matière vivante, sous forme de vitesse maximum de propagation de ce type de matière vivante – comme j’ai essayé, peut être sans succès, de définir ce terme auparavant – ; autrement dit, la vitesse de colonisation de la planète entière par l’organisme donné.   
   Cette énergie est liée à la reproduction des organismes vivants. Chaque forme de matière vivante peut se propager de cette façon à une allure bien déterminée, spécifique à chaque forme de matière vivante, et peupler ainsi théoriquement la planète entière.
   Dans le cas le plus rapide, celui des bactéries, cette colonisation peut être réalisée en un jour et demi ; alors que pour l’éléphant – l’un des organismes les plus lents à se reproduire – cela prendrait mille à mille cent années. Pour une colonisation complète de la planète, la matière vivante doit couvrir toute la surface de la planète...
   Lorsque je parle de colonisation de la planète, j’émets l’hypothèse que cette colonisation interviendrait dans des conditions telles qu’elle pourrait se dérouler normalement si elle n’était pas limitée par le manque d’espace. La vitesse de colonisation, exprimée par la grandeur V, peut varier dans une gamme très vaste, allant d’une vitesse proche de celle du son, plus de 33 000 cm/s (pour certaines bactéries) à quelques centièmes de centimètre par seconde (dans le cas de l’éléphant).
   En d’autres termes, nous discutons de la population durable, à long terme, de la planète par un organisme vivant dans ses conditions normales, dans lesquelles il peut exister pendant des générations ; et non de ces explosions de vie où l’excès d’organismes vivants est régulé par la mort, due à l’insuffisance de nutriments ou d’espace.
   Ces conceptions ne sont pas encore entrées dans la conscience scientifique. Je suis convaincu que l’avenir verra leur emploi. Il faut noter que la vitesse du son correspond à des conditions réelles, dans lesquelles le milieu de respiration dans lequel vit l’organisme – même dans le cas d’organismes aquatiques (dans les eaux naturelles, il existe une atmosphère sous-marine) –, n’est pas détruit. Ceci montre que l’énergie biogéochimique, sous cette forme, a presque atteint ses limites physiques...
   Cependant, l’énergie biogéochimique de la population ne subsume pas toutes les manifestations de cette énergie. Je mentionnerai encore deux de ses formes.
   D’abord, la production de la masse d’un organisme vivant et son maintien par le métabolisme à une valeur constante pendant la durée de son existence.
   Et deuxièmement, la grande forme nouvelle d’énergie biogéochimique que constitue le processus de travail de l’espèce humaine dans la biosphère, qui est dirigé de façon complexe par la pensée humaine – la conscience. Il est remarquable de constater que la croissance des machines au cours du temps, au sein de la structure de la société humaine, suit aussi une progression géométrique, tout comme la reproduction de la matière vivante, y compris des êtres humains. Cette manifestation de l’énergie biogéochimique n’a pas encore été du tout, à ce jour, abordée par les études scientifiques.
   Il est maintenant indispensable d’orienter les travaux scientifiques vers ce domaine de la biogéochimie, non seulement à cause de sa grande importance théorique mais aussi, à mon avis, en vue de son importance certaine pour les devoirs de l’Etat. Il est nécessaire d’approcher le processus autodéveloppant de transition entre la biosphère et la noosphère, qui se déroule en ce moment, de façon consciente.
   C’est donc une tâche de la première importance que de rassembler les faits et d’étudier les problèmes liés à l’énergie biogéochimique. Je ne doute pas que cela se fasse, un jour ou l’autre. J’espère y revenir dans mon livre.
La caractéristique distinctive de base de l’énergie biogéochimique se manifeste clairement et distinctement par l’accroissement de l’énergie libre de la biosphère avec le temps géologique et, de façon particulièrement radicale, lors de la transition de la biosphère à la noosphère.

A suivre ici
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3 février 2009 2 03 /02 /février /2009 20:00
Article tiré de la revue Fusion n°83 

Sur la différence énergéticomatérielle fondamentale entre les corps naturels vivants et non vivants dans la biosphère .
VLADIMIR VERNADSKI
1ère partie - 2nde partie



 II. Tableau sur la différence énergético-matérielle fondamentale entre les corps naturels vivants et non vivants dans la biosphère


    La distinction entre les corps naturels vivants et non vivants dans la biosphère se trouve dans les mêmes formes d’énergie que celles qui apparaissent dans les corps inertes.
    La composition chimique des deux types de corps naturel est bâtie sur le même type d’éléments chimiques – encore qu’il fut possible que le poids atomique de certains éléments change dans la matière vivante. Cette distinction fondamentale s’observe dans l’espace-temps de la matière vivante. Il est indispensable d’étudier, en même temps que la matière et l’énergie, les manifestations du temps dans les processus vivants.
    On peut admettre, sous réserve de vérification, l’hypothèse scientifique d’une structure de l’espace spécifique aux corps de matière vivante – structure ne correspondant pas à la géométrie euclidienne mais se trouvant à la base des propriétés énergético-matérielles et temporelles de la matière vivante, la distinguant des corps naturels inertes de la biosphère.

14.
    Sur la base de tout ce qui est aujourd’hui connu de la biosphère, je vais maintenant essayer de résumer brièvement, sans aucune hypothèse ou théorie, la distinction essentielle entre la matière vivante de la biosphère et les corps naturels inertes, qui est si peu ambiguë et caractéristique de l’enveloppe terrestre, familière et proche de nous.
    Il me semble qu’il est nécessaire et important de le faire maintenant, avant la publication de mon livre – quelle que soit la date à laquelle elle aura lieu. Autant que je sache, cela n’a jamais été fait sous cette forme ; par conséquent, on n’a encore jamais pu discuter sur l’ensemble de cette question – le problème le plus important se trouve en dehors de la sphère du naturaliste.
    Pourtant, il est extrêmement important que le naturaliste s’attache à la compréhension d’un phénomène aussi essentiel dans la biosphère.
    Dans ce contexte, il est important qu’ils aient à leur disposition non seulement des conceptions de la vie théoriques scientifico-philosophiques, qui occupent aujourd’hui la pensée des philosophes, mais des données beaucoup plus exactes qui sous-tendent la biologie et toutes ses « définitions de la vie » reposant sur ces données.
    Dans le tableau ci-dessous, je crois que je me limite à ces généralisations empiriques et ne sort pas du domaine des faits scientifiques.
    Il faut maintenant concentrer son attention sur cet aspect de la question et prendre ces généralisations comme base de travail.

15.
    La distinction radicale, insurmontable, existant entre les corps vivants naturels et les corps naturels inertes de la biosphère peut être résumée dans le tableau suivant.
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 I.

Corps inertes
Parmi les corps naturels inertes apparaissant de façon dispersée dans la biosphère, il n’y a pas de corps analogues aux corps vivants. Les formes inertes dispersées, tout comme les formes vivantes, sont concentrées dans la biosphère, mais les premières pénètrent jusqu’à des profondeurs plus grandes. Plus loin encore dans la couche de granite, il semble que les grandes pressions interdisent leur existence.
Ces Corps inertes sont générés dans la biosphère par la mort de la matière vivante (par exemple les organismes microscopiques), à partir de leurs sécrétions et excrétions, par le mouvement des phases liquides ou gazeuses dans les orages, dans les gisements pétroliers, etc. Ils sont aussi apportés dans la biosphère à partir des régions les plus basses par des gaz ou des fluides, des explosions et éruptions volcaniques, des mouvements tectoniques. Ils sont produits par des processus physico-chimiques ordinaires et peuvent être produits synthétiquement dans nos laboratoires.
Les Corps inertes dispersés entrent continuellement et sans interruption dans la biosphère – sous forme de poussière cosmique et de météorites – à partir de l’espace cosmique, de parties de la galaxie.


Corps Vivants
Les corps naturels vivants n’existent que dans la bio-sphère et uniquement comme corps dispersés (discrets), sous forme d’organismes vivants ou de leurs agrégats – la matière vivante. On les observe à la fois à l’échelle macroscopique (celle des effets gravitationnels) et à l’échelle microscopique.
La synthèse artificielle des corps naturels vivants n’a jamais été réalisée. Ceci indique qu’une condition fondamentale est nécessaire pour cette synthèse, condition absente du laboratoire.
Pasteur pensait que la cause en était l’absence de dissymétrie – un état de l’espace particulier – dans les conditions de laboratoires (voir § 10-11).
L’entrée de corps vivants dans la biosphère à partir de l’espace extraterrestre est concevable mais n’a pas été prouvée jusqu’à maintenant.

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 II.


Corps inertes
Les corps naturels inertes sont extrêmement hétéromorphes et ne manifestent pas de connexion génétique unifiée entre eux.
Les corps naturels inertes de la biosphère n’ont pas de caractéristique commune unifiante analogue à la cellule, au protoplasme ou à la reproduction, caractéristiques communes à tous les corps vivants naturels.


Corps vivants
Les corps naturels vivants se présentent comme un tout unifié – la matière vivante dans la biosphère – aussi bien morphologiquement, ayant la même unité morphologique – la cellule, que dans leurs structure et matériau, ayant le même protoplasme ; et, finalement, qu’en termes dynamiques, puisque possédant toujours le potentiel de reproduction.
On peut difficilement nier que cette unité de tous les corps naturels vivants soit reliée à leur unité génétique au cours du temps.

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 III.


Corps inertes
Dans les processus et les Corps inertes naturels, il n’y a pas de distinction entre les propriétés chimiques des formes énantiomorphes d’un même composé chimique.
Les orientations droite et gauche sont soumises aux lois strictes de la symétrie dans les solides homogènes (monocristaux). En particulier, les quantités de monocristaux gauche et droite d’un même composé chimique sont identiques. Les « gouttelettes dispersées », c’est-à-dire les cristaux homogènes – individus de composition chimique solide, diffèrent fortement dans leur structure interne de la géométrie euclidienne ordinaire (isotrope), mais ils ne sortent pas du cadre de cette géométrie.
Les formes énantiomorphes des corps naturels inertes sont géométriquement et chimiquement identiques. Elles apparaissent toujours en quantité égale et ne sont pas chimiquement distinguables. On peut même dire que cette identité, en termes chimiques, des formes énantiomorphes, est l’expression nécessaire de la structure atomique des composés solides homogènes et de l’espace géométrique euclidien, exprimés en termes physiques et matériels. C’est une manifestation de la base atomique de la construction, d’une part, et de la géométrie euclidienne, d’autre part.


Corps vivants
La distinction chimique entre les formes énantiomorphes d’un même composé chimique caractérise un état de l’espace physique, occupé par le corps d’un organisme vivant, et son action sur le milieu environnant, la biosphère. Cette différence chimique se manifeste fortement dans les produits solides (cristallins et mésomorphes) et liquides générés par les processus biochimiques des organismes vivants. Ce sont soit les isomères gauches, soit les isomères droits, qui prédominent.
Ce phénomène se manifeste clairement et profondément dans les propriétés de la matière vivante de la biosphère, jusqu’aux molécules qui composent les corps vivants. Les lois de symétrie de l’état solide cristallin sont violées de façon radicale.
Ces états de l’espace, occupés par les corps de matière vivante, ne sont générés dans la biosphère qu’à partir de corps naturels vivants déjà existants. Ils sont générés par naissance (principe de Redi). On peut voir là une expression du principe de Curie (voir § 11).
Il semble que Pasteur avait raison, que pour les composés chimiques premiers, essentiels pour la vie, seuls les isomères gauches apparaissent dans le corps d’un organisme vivant (dans son espace physique). Les isomères droits n’apparaissent pas ou bien sont retransformés par les organismes. Malheureusement, ce phénomène de portée considérable, qui pourrait facilement être établi, n’a pas encore été vérifié et ne reste que très probable.

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 IV.


Corps inertes
De nouveaux corps naturels inertes sont générés dans la biosphère par des processus physico-chimiques et géologiques, sans relations avec des corps naturels existant antérieurement, vivants ou inertes ; ils sont formés d’innombrables manières à partir de corps naturels qui ne ressemblent en général pas aux corps produits.
Les Corps inertes peuvent se former dans les corps vivants naturels. Toutefois, on n’observe rien de ce qui pourrait ressembler à une reproduction biologique dans la formation des corps naturels inertes de la bio-sphère.
Chez les Corps inertes de la biosphère, on n’observe pas de type de changement analogue au processus évolutif de la matière vivante. De façon générale, nous trouvons dans la biosphère actuelle exactement les mêmes corps naturels inertes et les mêmes phénomènes de formation de ces corps que ceux qui ont existé sur une période d’au moins deux milliards d’années. Au cours du temps géologique, de nouveaux corps naturels inertes n’ont émergé que sous l’influence de l’évolution de la matière vivante.
La création de ces nouveaux Corps inertes intervient de façon puissante et radicale – avec une envergure croissante – dans la noosphère de l’époque actuelle, comme conséquence de la créativité humaine.


Corps vivants
Un nouveau corps naturel vivant, un organisme vivant, ne peut naître que d’un autre organisme auquel il est similaire.
Pour chacune des espèces de matière vivante, il y a alternance de générations, qui procèdent dans le temps à une allure bien définie (principe de Redi).
Dans le temps géologique, au cours d’au moins deux milliards d’années, la matière vivante s’est révélée plastique – elle a suivi un processus de l’évolution des espèces. A l’évidence, de temps en temps, suivant des lois qui n’ont pas encore été élucidées – processus de mutation, en partie ? –, un nouveau type de matière vivante est généré : chez certains organismes vivants, une génération nouvelle apparaît, clairement distincte des générations précédentes, morphologiquement et physiologiquement transformée. Nous observons, depuis au moins deux milliards d’années, un processus évolutif unique et unitaire, intimement lié à l’histoire de la planète. Comme l’a montré Dana (1852), il y a un processus de génération, au sein de la matière vivante de la biosphère, de systèmes nerveux centraux de plus en plus puissants. Ce processus se poursuit inexorablement au cours du temps, mais avec des interruptions majeures de dizaines, voire de centaines de millions d’années.
Par ce fait, à la fin du Pléistocène, le rôle géologique de la matière vivante dans la biosphère s’est radicalement accru, accomplissant un bond. Grâce à la créativité humaine, la biosphère va rapidement vers un nouvel état – la noosphère

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 V.


Corps inertes
Un corps naturel inerte – solide ou mésomorphe – n’a pas de propriétés spéciales de mouvement en tant que corps naturel simple. Il n’existe pas de telles propriétés dans les Corps inertes gazeux ou liquides, composés de molécules au mouvement complexe qui épousent la forme du contenant dans lequel elles sont placées.
Les corps gazeux exercent une pression sur les parois d’un contenant clos. Leur mouvement est régi par les lois de la température et de la pression.


Corps vivants
Les fluides ou les gaz vivants n’existent pas en tant que corps naturels. Les liquides et les gaz existant au sein d’un Corps vivant sont mélangés à des structures colloïdales – mésomorphes ou solides.
Le mouvement volontaire, capable dans une grande mesure d’autorégulation, est l’une des marques de tout corps naturel vivant dans la biosphère.
Il existe deux formes de ce mouvement pour la matière vivante. L’un – passif – est produit par la multiplication et c’est une propriété commune à toute matière vivante.
L’autre – actif – s’exprime chez la grande majorité des animaux et chez une minorité de plantes, par le mouvement volontaire des individus et de leurs colonies à proximité de la matière vivante.
La première forme de mouvement – mouvement d’expansion, de colonisation de la biosphère – est analogue aux lois caractéristiques des masses gazeuses ; selon celles-ci, elle exerce une pression dont la grandeur dépend du taux de multiplication (l’énergie biogéochimique de colonisation). Le taux de colonisation par la matière vivante dans les frontières de la biosphère approche le maximum physique – la vitesse du son pour le milieu gazeux de la respiration. Pour les organismes microscopiques, vivants dans les liquides, il y a encore une autre forme de mouvement, naissant du mouvement moléculaire dans les fluides, qui nous a été révélée par le mouvement brownien.

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 VI.


Corps inertes
Les corps naturels inertes demeurent inertes
dans toutes les conditions. Ils changent sous l’influence d’une action externe, le processus d’érosion biosphérique.
Ce processus bio-inerte se déroule lentement au cours du temps géologique. Les corps inertes ne croissent pas et, apparemment, n’augmentent pas leur masse.
On ne trouve dans la matière inerte rien d’analogue à la croissance (et la reproduction) des organismes vivants. Comparer la croissance d’un cristal à celle d’un organisme vivant relève de la mécompréhension, et cela apparaît clairement dès la première analyse logique. Les atomes d’un corps inerte ne manifestent aucune des caractéristiques du mouvement propres à la migration biogénique des atomes.


Corps vivants
Les corps naturels vivants vivent, c’est-à-dire croissent et se multiplient.
De ce fait, chaque organisme vivant est le centre et la source de la migration biogénique d’atomes, de la biosphère vers l’organisme et inversement. Dans le même temps, chaque organisme est source d’énergie libre dans la biosphère – énergie libre biogéochimique.
A travers des cheminements biochimiques, ce flux biogénique d’atomes donne lieu à la synthèse d’un nombre infini de molécules chimiques dans la matière vivante, en changement constant. Une grande partie des composés chimiques générés dans les organismes vivants peut être synthétisée par d’autres moyens au laboratoire. Cependant, la quasi-totalité de ces composés ne peut être créée dans la biosphère que par la matière vivante.
Cette synthèse par les organismes vivants a lieu à des taux incroyablement élevés par rapport à ceux que l’on observe en laboratoire.
De ce fait, l’énergie biogéochimique apparaît, en termes de puissance, comme la force fondamentale de changement de la biosphère.

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 VII.


Corps inertes
Le nombre de corps naturels inertes dans la biosphère est déterminé par les propriétés générales de la matière et de l’énergie. Il ne dépend pas des dimensions de la planète.
La biosphère absorbe constamment de la matière et de l’énergie venant des espaces extraterrestres et elle en émet vers eux. Il y a un échange constant de matière et d’énergie à travers les corps naturels inertes.
Apparemment, nous voyons un équilibre dynamique maintenu – manifestation de la même organisation (mais pas du même mécanisme) caractéristique de la biosphère et de la matière vivante.


Corps vivants
Le nombre des corps naturels vivants dans la biosphère est quantitativement relié aux dimensions de celle-ci.

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 VIII.


Corps inertes
Le volume et les régions d’apparition des corps naturels inertes de la biosphère sont limités par ses dimensions et ne peuvent s’accroître que par l’expansion de la biosphère.
A l’évidence, la biosphère s’étend au cours des temps géologiques par le mouvement de la matière vivante.
Dans ce processus, les corps naturels inertes de la biosphère jouent un rôle passif.


Corps vivants
La masse de matière vivante dans la biosphère est proche de la limite et, à l’évidence, reste une constante fluctuante à l’échelle des temps historiques. Elle est déterminée avant tout par l’énergie du rayonnement solaire qui tombe sur la biosphère et par l’énergie biogéochimique de colonisation de la planète.
A l’évidence, la masse de matière vivante augmente avec le temps géologique, et le processus de conquête de la Terre par la matière vivante n’est pas terminé.

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 IX.


Corps inertes
Les dimensions minimales d’un corps naturel inerte de la biosphère sont déterminées par la nature dispersive de la matière et de l’énergie – par les atomes, les électrons, les neutrons, etc. Leurs dimensions maximales sont déterminées par les dimensions de la bio-sphère – un corps naturel bio-inerte. La gamme d’échelle est énorme – 1040 ou même, probablement, encore plus.


Corps vivants
Les dimensions minimales d’un corps naturel vivant sont déterminées par la respiration, c’est-à-dire la migration biogénique d’atomes gazeux (et en dernière analyse, par le nombre de Loschmidt). Ces dimensions sont de l’ordre de 10–6 cm. Les dimensions maximales n’ont pas excédé quelques centaines de mètres au cours des deux derniers milliards d’années.
Les raisons n’en sont pas claires. La gamme d’échelle est réduite : 109.

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 X.


Corps inertes
La composition chimique d’un corps naturel inerte dans la biosphère est fonction de la composition et des propriétés du milieu environnant, dans lequel il se forme. Elle est déterminée de façon passive par la structure de la biosphère dans le temps géologique.


Corps vivants
La composition chimique de corps vivants naturels est générée par l’action de ces corps mêmes. Par la nutrition et la respiration, ils sélectionnent les éléments chimiques nécessaires à leur existence et à la génération de nouveaux corps naturels vivants (autarcie de la matière vivante). A l’évidence, ils peuvent changer les rapports isotopiques au cours de ce processus (changer le poids atomique des éléments chimiques).
Ainsi, les organismes vivants créent eux-mêmes les parties essentielles de leurs corps et constituent des corps indépendants et autonomes, dans des limites bien définies, au sein de la biosphère – le grand corps bio-inerte de la planète.

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 XI.

Corps inertes
Le nombre des différents composés chimiques – molécules et cristaux – dans les corps naturels de la biosphère (et du noyau de la Terre) est limité. Il existe plusieurs milliers de ces molécules et cristaux. Ceci détermine le très petit nombre de formes de corps naturels inertes dans la biosphère.


Corps vivants
Le nombre de composés chimiques dans les corps naturels vivants est illimité. Ceci est lié à l’individualité et à la distinction de chaque être vivant particulier.
Nous connaissons déjà des millions d’espèces d’organismes et des millions de millions de molécules et de formes cristallines distinctes contenues en eux.
Bien qu’une petite partie seulement ait été décrite, il n’y a pas de doute quant à leur caractère.

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 XII.

Corps inertes
Tous les processus naturels dans le domaine des Corps inertes naturels – à l’exception de la radioactivité – réduisent l’énergie libre de la biosphère (les processus physico-chimiques sont réversibles). De cette manière, l’énergie libre de la biosphère se réduit et l’entropie s’accroît.


Corps vivants
Les processus naturels de la matière vivante ont pour effet sur la biosphère d’accroître son énergie libre (c’est-à-dire diminuent son entropie).
Il en résulte un accroissement de l’énergie libre de la biosphère montrant l’effet fondamental de la matière vivante sur la biosphère – et sur la planète entière.

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 XIII.


Corps inertes
La composition chimique des corps naturels inertes peut correspondre presque exactement à des composés chimiquement purs théoriques, avec des proportions stochiométriques précises entre éléments.
Dans les minéraux, les solutions solides prédominent (mélanges isomorphes).
Les atomes libres des éléments chimiques sont dispersés dans tous les corps inertes. Ils pénètrent toute la matière terrestre, sans entrer dans la composition de molécules et sans entrer toujours dans les noeuds de réseaux cristallins. Aujourd’hui, nous connaissons l’existence de deux processus permanents de dispersion des atomes : la pénétration de rayonnement cosmique et la radioactivité, qui causent en permanence la dispersion d’éléments – toujours éphémère – dans la matière inerte terrestre de la biosphère.
L’importance de ce phénomène commence tout juste à nous apparaître. Il nécessite des études théoriques et expérimentales.


Corps vivant
Dans la matière vivante de la biosphère, nous trouvons toujours un mélange extrêmement complexe de molécules chimiques. Ce sont toujours des corps de structure mésomorphes (colloïdale ou plus rarement cristalline). Les molécules d’eau, liées chimiquement et physiquement, mais gardant dans une grande mesure leurs propriétés caractéristiques, sont largement prédominantes. Elles constituent entre 60 et 99 % (parfois plus) du poids de la matière vivante. Dans les états latents de matière vivante, la quantité de ces molécules varie entre 4 et 15 % (et parfois moins).
Il n’existe pas de proportions stochiométriques pour la composition chimique brute des corps vivants. En effet, cette composition chimique est strictement définie et plus constante que les mélanges isomorphes de minéraux naturels. Cette composition est typique d’une espèce ou race données et elle constitue une signature caractéristique de chaque matériau vivant.
Du point de vue de la matière vivante prise dans son ensemble, il n’y a pas d’éléments chimiques biogéniques. Tous les éléments de la biosphère sont embrassés par la matière vivante. Toutefois, pour chaque élément chimique impliqué dans la biochimie de la bio-sphère, il existe des organismes vivants caractéristiques, dont l’activité concentre cet élément et qui sont distincts des autres organismes par cette propriété. C’est ici que l’action de la matière vivante manifeste clairement son caractère planétaire. [...]

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 XIV.


Corps inertes
A l’exception des éléments radioactifs, les rapports isotopiques des mélanges d’isotopes (d’éléments chimiques terrestres) apparaissant dans les corps naturels inertes ne changent pas de façon significative. Evidemment, il existe des processus naturels en dehors des limites de la biosphère – par exemple, les mouvements de gaz à haute pression et haute température dans le noyau terrestre – qui peuvent changer les rapports isotopiques. [...] L’une des tâches les plus importantes de la géochimie, actuellement, est d’obtenir une définition du poids atomique des éléments chimiques des corps inertes, plus précise que ce que permettent les moyens chimiques.


Corps vivant
A l’évidence, le changement de la composition isotopique (le poids atomique) au sein des organismes vivants, dans certaines proportions, définit une propriété caractéristique de la matière vivante. Cela a été prouvé pour l’hydrogène, le carbone et le potassium, et c’est probable pour l’azote et l’oxygène. Ce phénomène demande des investigations précises. Il est maintenant plus que probable qu’un élément chimique change sa composition isotopique lorsqu’il entre dans un organisme vivant.
Ce processus devant être relié à la dépense énergétique, nous pouvons nous attendre à observer, dans la migration biogénique, un délai considérable dans la sortie de ces éléments du cycle de migration biogénique. Ce phénomène a été noté par K. M.von Beer pour l’azote. Il est possible qu’il s’agisse d’un phénomène général.

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 XV.


Corps inertes
L’écrasante majorité des corps naturels solides et mésomorphes de la biosphère sont caractérisés par leur stabilité au cours des temps géologiques – plus de deux millions d’années. Ceci s’explique par le petit nombre de leurs formes. W. Bragg a dit, à juste titre, que parmi les structures cristallines (et, bien sûr, moléculaires) du Cosmos, seules les plus stables et les plus simples sont apparues. Il me semble que nous pouvons y voir le résultat d’une stabilité à très long terme du Cosmos que nous étudions. L’étude de la radioactivité des roches montre que les atomes des matériaux de base de la lithosphère n’ont pas changé leur position relative pendant des centaines de millions, voire deux milliards d’années, tout en restant constamment en mouvement.


Corps vivant
Le tableau change complètement lorsque l’on observe les corps vivants de la biosphère.
La grande majorité d’entre eux changent de forme avec le processus de l’évolution et se transforment en d’autres types ou espèces de matière vivante. C’est la manifestation du temps de la matière vivante de la bio-sphère.
Ce phénomène est beaucoup plus compliqué que nous l’imaginons dans notre compréhension actuelle de l’évolution. En fait, le processus évolutif n’a pas été jusqu’ici exprimé en termes quantitatifs et n’a pas été étudié (ce qui est maintenant possible) en termes de changement dans le taux de changement.
En dépit de la plasticité de la matière vivante, il existe des cas d’organismes manifestant une fixité totale.
L’organisme ne change pas sa structure morpho-physiologique et reste dans la biosphère contemporaine comme un témoin vivant de la biosphère passée. Nous parlons ici de plusieurs centaines de millions d’années.
[...] Malheureusement, ce phénomène de constance morphologique – la persistance – n’a pas été étudié par les biologistes. Il y a évidemment migration constante d’atomes au sein des corps vivants, qui contraste nettement avec leur immobilité chez les corps inertes. La méthode du radiomarquage commence à nous révéler un nouveau processus de substitutions biogéniques constantes au sein des molécules, où les atomes similaires échangent de place – un flux biogénique d’atomes, intramoléculaire et ininterrompu.

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 XVI.

Corps inertes
Tous les processus physico-chimiques dans les corps naturels inertes sont réversibles dans le temps.
L’espace dans lequel ils interviennent – l’espace de la géométrie euclidienne – correspond à l’état cristallin isotrope ou anisotrope.


Corps vivant
Les processus physico-chimiques qui forment les corps naturels vivants dans la biosphère sont irréversibles dans le temps. Il est possible que l’on montre un jour que c’est la conséquence d’un état spécial de l’espace-temps, ayant un substrat correspondant à une géométrie non euclidienne.
On peut en tout cas le prendre comme hypothèse scientifique de travail, susceptible de vérification.
Dans la logique de cette hypothèse, nous devons admettre la possibilité qu’il existe dans notre réalité un processus de transition entre des états de l’espace différents l’un de l’autre. L’existence de la matière vivante dans la biosphère terrestre en est l’une des manifestations.

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Explications supplémentaires 

    Sur l’admissibilité de la conception de différents états de l’espace-temps existant simultanément dans la biosphère. Sur son hétérogénéité géométrique. Dans la biosphère, le temps doit être étudié comme la matière et l’énergie. L’hypothèse de travail d’un état géométrique particulier de la matière vivante de la biosphère, correspond à l’une des géométries riemanniennes.

16.
    Analysant le tableau ci-dessus, nous voyons que la distinction entre corps vivants et inertes dans la biosphère peut être réduite à trois paramètres fondamentaux : 1) la différence de caractéristiques énergétiques ; 2) la différence de caractéristiques chimiques ; et 3) la différence des caractéristiques spatio-temporelles.
    Il me semble que les premiers paramètres ne requièrent pas de discussion spéciale du point de vue du travail scientifique. [...]

18.
    Toutefois, pour l’espacetemps, le problème devient beaucoup plus complexe. Nous entrons ici, d’une part, dans un domaine qui n’a pas encore été exploré scientifiquement et, d’autre part, nous traitons du substrat commun à tous les processus naturels (leur géométrie), substrat que le naturaliste est habitué à laisser de côté dans ses investigations scientifiques.
    Ce substrat – l’état géométrique de l’espace physique – est plus fondamental encore que tous les processus physico-chimiques. Mais il est aussi, selon moi, encore plus réel qu’eux.
    Aujourd’hui, on accepte généralement la conception – parfois même faussement posée comme axiome – suivant laquelle il n’y a qu’une seule géométrie sous-tendant tous les phénomènes terrestres.
    Le naturaliste ne peut cependant pas construire ses conceptions sur la base des axiomes, comme par paralogisme, parce que leur caractère axiomatique ne peut être démontré que par des expériences et des observations scientifiques. La logique est toujours moins complète que la Nature (la biosphère dans ce cas), puisque la logique correspond à une abstraction, c’est-à-dire à une simplification de l’image de la Nature.
    Lorsque nous considérons la possibilité de l’existence simultanée de géométries différentes sur notre planète, nous devons vérifier leur existence par les expériences et l’observation.
    Si le naturaliste rencontre des processus qui lui permettent de le confirmer par des expériences et de l’observation, il est obligé de le faire.
    Avant notre siècle, les scientifiques fondaient leurs recherches sur la seule géométrie euclidienne tridimensionnelle. Dans les nouvelles conceptions scientifico-philosophiques, liées aux constructions d’Einstein, on considère un espace à quatre dimensions ; certains pensent que cet espace est plus riemannien qu’euclidien. La pensée en physique théorique recherche ici de nouveaux chemins, mais elle n’a pas encore mené l’analyse à son terme, comme l’exige la logique.

19.
    Avant d’aller plus loin, il est indispensable de clarifier, dans quelle mesure il est possible d’admettre dans notre réalité scientifique l’existence d’espaces caractérisés par des géométries différentes dans différents domaines.
    Il me semble que les gens pensent aujourd’hui qu’une telle chose est impossible, sans avoir soumis la question à analyse. Nous pouvons le voir dans l’histoire de la géométrie. A son époque, Lobatchevski admettait la possibilité qu’une nouvelle géométrie, découverte par lui, puisse définir la structure spatiale de la réalité scientifique en lieu et place de la géométrie euclidienne. Il tenta de tester expérimentalement son hypothèse en mesurant les triangles formés par les étoiles. Aujourd’hui, Eddington essaye de mettre en lumière le véritable espace à quatre dimensions – l’un des espaces riemanniens – correspondant à la conception d’Einstein du Cosmos.
    Néanmoins, tout ceci se résume à une conception très simple, très abstraite, du Cosmos ; elle peut satisfaire le géomètre et le physicien théorique mais elle contredit la connaissance empirique du naturaliste. Il existe une autre conception possible logiquement – celle d’une inhomogénéité géométrique de la réalité, conception plus proche de la connaissance empirique, sans contredire ce que nous savons scientifiquement : admettre que dans des processus soumis à un examen scientifique, le Cosmos peut manifester des géométries différentes, dans différents cas.
    L’hypothèse d’une seule géométrie unifiée pour l’ensemble du Cosmos, pour l’entièreté de la réalité, est inséparablement liée à l’hypothèse selon laquelle les origines des théorèmes géométriques sont liées à des propriétés spéciales de notre compréhension. Toute l’histoire de la géométrie réfute cette hypothèse.

20.
    Cela m’amène aux considérations suivantes. Nous savons aujourd’hui qu’il existe toute une gamme de géométries que l’on peut répartir en trois classes – celles d’Euclide, de Lobatchevski et de Riemann – et que chacune d’entre elles est irréprochable et également vraie. Le travail de généralisation se poursuit avec succès pour réduire toutes ces géométries en une seule géométrie généralisée.
    L’histoire des sciences nous démontre clairement que la géométrie et ses lois, du point de vue de leur base fondamentale, sont déduites de façon empirique, comme toutes les autres généralisations sur les relations entre matière et énergie. Les fondations à partir desquelles ces lois sont dérivées de façon déductive sont établies par les observations et expériences scientifiques précises du chercheur. On peut difficilement commencer aujourd’hui en prenant comme autorité scientifique des conceptions philosophiques et non scientifiques sur la genèse de la géométrie, voyant en elles une manifestation logique de la compréhension humaine. Je préfère toujours, lorsque cela est scientifiquement permis, ne pas m’éloigner des bases scientifiques empiriques.
    Partant de là, on peut, si nécessaire, admettre la possibilité que la réalité est géométriquement non homogène ; et que différentes géométries pourraient naître dans différents processus ; et que nous devons en tenir compte dans notre travail scientifique. Dans la biosphère, nous sommes précisément confrontés à ce type d’hétérogénéité géométrique.

21.
    Pour nous, l’espace est inséparable du temps. Cette conception ne résulte pas des hypothèses théoriques d’Einstein mais avait été établie beaucoup plus tôt de façon indépendante. J’ai essayé de le montrer dans d’autres publications.
    Nous vivons aujourd’hui une époque extrêmement importante de l’histoire des sciences. Pour la première fois, l’objet de nos investigations est le temps, entité qui est restée pendant des siècles en dehors de la sphère scientifique. Cette situation caractérise la science de notre époque et la différencie de la science du XIXe siècle. Il est désormais clair que le temps est une manifestation extrêmement complexe de la réalité et que le contenu de ce concept est très riche. Parlant d’espace-temps, nous ne faisons référence qu’au fait qu’ils sont inséparables l’un de l’autre. Pour la science, il n’y a pas d’espace sans énergie et matière ; exactement dans le même sens, il n’y a pas de temps.
    La conception de Minkowski et de ses prédécesseurs, suivant laquelle le temps est la quatrième dimension de l’espace, est une abstraction mathématique n’ayant pas de support dans la réalité scientifique.     Il s’agit d’une fiction ne correspondant pas au contenu réel de la science, ni à la véritable conception scientifique du temps. Le temps n’est pas une dimension de la géométrie métrique.
    Naturellement, le temps peut être représenté géométriquement sous la forme d’un vecteur mais cette représentation ne saurait sous-tendre toutes les propriétés du temps dans les processus naturels étudiés par le naturaliste ; et elle ne fournit rien de réel dans le sens de la connaissance.
    Elle ne lui est pas nécessaire.
    La science du XXe siècle est maintenant à un point où le moment est venu d’étudier le temps de la même façon que l’énergie et la matière qui remplissent l’espace. Le temps de Minkowski, considéré comme la quatrième dimension d’un espace euclidien, ne correspond pas au temps effectivement observé dans l’espace physique. Nous ne devrions pas oublier que, dans un travail scientifique concret, nous ne traitons pas, en général, de l’espace géométrique abstrait et absolu. A tout instant, nous traitons de l’espace réel de la Nature, beaucoup plus compliqué.
    Dans le vide, et bien souvent dans un milieu gazeux, nous pouvons utiliser très souvent, sans avoir besoin de faire des corrections, les conclusions tirées des propriétés de l’espace abstrait de la géométrie euclidienne.
    Mais pas toujours. Dans la plupart des problèmes auxquels nous sommes confrontés, impliquant des corps solides et des fluides, on ne peut procéder ainsi. Il est donc opportun, comme nous le verrons, de distinguer l’espace réel de la Nature – dans ce cas, la biosphère – en tant qu’espace physique, de l’espace géométrique ; de la façon dont opérait Helmholtz, apparemment le premier à le faire ainsi.
    Dans ce sens, le temps du naturaliste n’est pas le temps géométrique de Minkowski, n’est pas le temps de la physique mécanique et théorique, ni celui de Galilée et de Newton.
Au § 15, j’ai indiqué la distinction empirique très nette entre le temps des corps vivants et celui des corps naturels inertes de la biosphère.
    Dans les processus vivants, le temps se manifeste par des successions de générations, phénomène complètement absent chez les corps inertes.
    La succession de générations est la manifestation spécifiquement biologique du temps, qui distingue nettement un type de matière vivante d’un autre, avec à chaque fois une échelle de comparaison différente.
    Il est aussi possible de trouver une échelle commune pour toutes ces échelles particulières.

22.
    A partir de tout ce qui a été dit plus haut, il est avantageux d’organiser le travail scientifique en faisant l’hypothèse de travail scientifique que l’espace, au sein d’un organisme vivant, est un espace différent de celui qui se trouve chez les corps inertes de la biosphère, que cet espace ne correspond pas à un état spécial du corps dans le domaine de la géométrie euclidienne et que le temps y est exprimé sous forme de vecteur polaire. L’existence des orientations droite et gauche et la non-équivalence physico-chimique de ces deux orientations nous orientent vers une géométrie différente de la géométrie euclidienne – une géométrie de l’espace de la matière vivante.
    Mes discussions avec les géomètres m’ont fait clairement comprendre que la géométrie correspondant à ces conditions requises n’a pas encore été élaborée. Selon les indications de l’académicien N.N. Louzine et du professeur S.P. Finikoff, il est possible qu’il s’agisse d’une des géométries riemanniennes ; peut-être l’une de celles évoquées, mais non élaborées, par Cartan. [...] Il serait souhaitable que ces questions attirent l’attention des géomètres.
    Le travail d’investigation des naturalistes emploie en fait toujours les constructions mathématiques des géomètres. Il ne peut autrement se développer correctement. D’autre part, la pensée mathématique croît et découvre de nouveaux domaines, lorsque la pensée scientifique ou la vie environnante nous confronte à de nouveaux problèmes. Le caractère géométrique de l’espace, occupé par la matière vivante, est un de ces nouveaux problèmes. Les vecteurs polaires sont caractéristiques de cet espace (absence de centre de symétrie et de symétrie complexe), tout comme la non-équivalence des énantiomères droite et gauche (leur manque de combinaison, ou leur combinaison incomplète) ; la différence chimique marquée entre processus et composés de chiralité droite ou gauche. Ce qui ressort de façon caractéristique chez les organismes vivants, c’est l’absence de lignes droites et de surfaces planes ; la symétrie des organismes vivants repose sur des lignes et des surfaces courbes, caractéristiques des géométries riemanniennes. La nature finie et close de l’espace, qui se distingue nettement de son environnement et qui prévaut sur lui, est un autre signe propre aux géométries riemanniennes.
    C’est tout à fait cohérent avec le caractère distant des organismes vivants, leur autarcie.
    Quelle est la géométrie riemannienne appropriée ici ? Quelles en sont les caractéristiques ? Il me semble que la réponse à ces questions est un défi qui ne peut être ignoré par nos géomètres. Elle mérite leur attention car c’est en soi un problème géométrique.
    D’autant plus qu’il est relié à un problème physique plus général : la question des états géométriques de l’espace physique, qui reste encore très peu abordée par la pensée philosophique et physique.

[...] Je remercie N.N. Louzine et S.P. Finikoff, qui m’ont aidé de leurs suggestions instructives au cours des discussions que nous avons eues.

Vladimir I. Vernadski
Moscou, juin 1938.
 
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2 février 2009 1 02 /02 /février /2009 18:20
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