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1 janvier 2005 6 01 /01 /janvier /2005 00:25
    I. ORIGINES ET FONDEMENTS IDÉOLOGIQUES DES MOUVEMENTS ÉCOLOGISTES




4. L'écologisme en France -
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    Les fondements historiques et philosophiques de l'écologisme en France ne sont pas différents de ceux que nous avons passés en revue d'un point de vue international. Cependant, quelques spécificités ont contribué à retarder l'apparition dans notre pays d'un courant écologiste de masse. Tout d'abord, l'influence profonde et durable de Jean Jaurès dans le mouvement ouvrier français. Ce n'est que dans les années 60 que la CFDT à commencé à construire un syndicalisme corporatiste, dans lequel toute référence au progrès et à la contribution ouvrière à ce progrès est supprimée au profit d'une conception des intérêts individuels et des appétits immédiats. Le PSU et la « nouvelle gauche » incarneront aussi cette tendance et joueront un grand rôle pour le développement de l'écologie comme thématique politique. Cette tendance se retrouve maintenant dans la « troisième gauche » que veut développer Daniel Cohn-Bendit, à la fois ultralibérale et anti-industrielle.

    Le deuxième élément spécifique tient à ce que les idées de « retour à la Terre" avaient déjà été entendues sous Vichy et étaient donc négativement connotées pour la majorité de la population, au moins pendant l'expansion agricole et industrielle des quatrième et cinquième République. Dans la mesure où Vichy est resté très longtemps un tabou absolu, il était difficile de reprendre ses thèmes, contrairement à ce qui s'est passé en Allemagne. Là-bas, la dénazification a eu l'effet inverse : en insistant avant tout sur les camps de concentration, elle a fait oublier les autres horreurs du nazisme : eugénisme, élimination des faibles et des improductifs et création d'une législation sur la protection de la nature anti-humaine. Les premières lois de protection des animaux sont ainsi nées dans l'hitlérisme.

    Le troisième élément (sans doute le plus déterminant) est lié à la personnalité du général de Gaulle. Défenseur acharné de la souveraineté nationale, il a livré une guerre sans merci à ceux qui, dans les institutions internationales telles que l'Otan ou l'Onu, préparaient la création d'un gouvernement mondial malthusien. La vie politique de l'après-guerre a été dominée par les gaullistes et le parti Communiste, tous deux défenseurs de l'Etat-nation et du progrès scientifique. Les écologistes et les fédéralistes sont perçus par eux comme des ennemis contre lesquels il faut s'allier. Cette alliance « gaullo-communiste » va jouer dans le lancement et le développement du nucléaire, dans l'échec de la Communauté européenne de défense, dans le développement de I 'aérospatial, etc.

    Néanmoins, les forces mises en oeuvre au niveau de la transformation culturelle vers le pessimisme de la croissance zéro étaient telles que la France a basculé à son tour. Ce basculement s'opère non pas tant en mai 68 que dans la période qui l'a immédiatement suivi. En effet, si les groupes gauchistes prolifèrent un moment, le soufflé retombe rapidement. Les mouvements trotskistes végètent et les maoïstes explosent, laissant place à une élite qui se dirigera vers le terrorisme, tandis que ceux qui n'osent pas passer à l'acte rejoindront le capitalisme qu'ils avaient tant décrié, investissant notamment le monde de la communication et des médias. Quant à la masse des jeunes « déçus » par l'échec de leur « révolution », elle se dirige vers les paradis artificiels de la drogue et vers l'écologie, l'idéologie la plus à même d'exprimer le « refus de la société » qu'ils veu ent manifester.

    Des théoriciens ont habilement préparé le terrain. Ce sont lvan lllitch, Bertrand de Jouvenel, Denis de Rougemont et André Gorz, alias Michel Bosquet. La plupart sont publiés par les éditions du Seuil : Quelle terre laisserons-nous à nos enfants de Barry Commoner (1969), Libérer l'avenir d’Illitch (1970), l'Utopie ou la mort de René Dumont, etc. Ils ont préparé la voie dans laquelle s'engouffreront ensuite les chefs d'école tels que Serge Moscovici, René Dumont, Pierre Samuel, Brice Lalonde, etc.

    Le mouvement gauchiste et écologiste abandonne alors toute référence au marxisme, par trop productiviste. S'il a fallu quelques années à André Gorz pour signer ses Adieux au Prolétariat, le tournant était pris bien avant. Quelques journaux reflètent cette évolution : Actuel, porte-drapeau de la contreculture rock-drogue, publie en 1971 le premier dossier sur l'écologie paru dans une revue grand public. Pierre Fournier, journaliste à Hara-Kiri, puis à Charlie Hebdo, après s'être lancé dans les campagnes antinucléaires, lance en 1972 le premier magazine purement écologiste : La gueule ouverte, « le journal qui annonce la fin du monde ». Quelques mois plus tard, le Nouvel Observateur, qui avait déjà préparé le terrain avec André Gorz, lance un supplément intitulé Le Sauvage, auquel collaborent Claude Perdriel, Alain Hervé et Brice Lalonde. Ces deux journaux vont servir d'organes du mouvement écologiste pour le reste des années 70. Il faut citer aussi le trimestriel Combat Nature, fondé en 1974 par Alain de Swarte, moins gauchiste et davantage orienté vers le naturalisme conservateur dont nous parlerons plus tard.

    Le Larzac marque le tournant à partir duquel les organisations gauchistes « traditionnelles » perdront du terrain face au mouvement écologiste montant. En mai 1971, un millier de personnes se réunissent pour manifester contre le camp militaire du Larzac, à l'appel des organisations régionalistes occitanes, du PSU, du Parti socialiste, et du Mouvement pour le désarmement, la paix et la liberté, dirigé par Claude Bourdet. Les maoïstes de la Gauche prolétarienne (La cause du peuple) lancent ensuite en été une opération sur le terrain pour tenter de récupérer le mouvement, mais se rendent assez vite impopulaires par leur violence et leur dogmatisme. Les paysans préfèrent suivre la bannière non violente du prophète Lanza del Vasto, qui entame une grève de la faim en mars 1972. En avril 1973, les Amis de la Terre se joignent au mouvement. Désormais, l'idée à la mode dans la jeunesse branchée, ce n'est plus le marxisme, c'est l'écologie. La voie est ouverte pour la candidature de René Dumont qui va faire connaître les thèses écologistes à des millions de français, au cours de la campagne présidentielle de 1974, s'en prenant notamment à la « croissance économique délirante (...) que le monde a connu de 1945 à 1973 ».  

    Agronome né en 1904, René Dumont n'a pourtant embrassé la cause écologiste qu'au tout début des années 70, sensibilisé par le rapport du Club de Rome et la Bombe P du couple Ehrlich. Il avait publié en 1973 L'Utopie ou la mort (Seuil) dans lequel il reprend la thématique malthusienne, mais y ajoute un tiers-mondisme militant et une vision politique. Si Dumont est favorable à la croissance zéro démographique (il va jusqu'à justifier l'avortement systématique au Japon ou l'abandon des petites filles en Chine), il ne veut pas d'une croissance économique zéro. Contre l'économie de profit, il voit la solution dans une économie distributive au niveau mondial, basée sur l'autogestion au sein de communautés locales.

    Dumont fédère autour de sa candidature deux courants très différents : d'un côté, les écologues, écologistes et les naturalistes « classiques » apprécient ce candidat qui met pour la première fois les thèses écologistes sur la table dans un débat politique national ; de l'autre, de nombreuses mouvances post-soixante huitardes se retrouvent dans l'autogestion et dans ses références à mai 68 et au « président Mao ». Même si le PSU, dont René Dumont fut membre, préfère officiellement soutenir la candidature Mitterrand, nombre de ses militants soutiendront Dumont, à commencer par Brice Lalonde, qui sera son directeur de campagne. Deux tendances donc, que l'on pourrait appeler respectivement naturalisme conservateur et naturalisme subversif.

   

    Le naturalisme conservateur : Bertrand de Jouvenel et Robert Hainard, les précurseurs cachés

    Bertrand de Jouvenel peut être considéré comme l'un des précurseurs de l'écologie politique, en tout cas des développements que celle-ci a eu en matière de prospective et de gestion sociale. Petit problème : il fut aussi l'un des idéologues du Parti populaire français de Jacques Doriot, ardent défenseur de la collaboration avec les nazis. En 1960, il se reconvertit dans la prospective et fonde l'association Futuribles (conjugué des mots futur et possible), avec le soutien de la Fondation Ford, la même qui lança le Club de Rome et de très nombreux autres projets écologistes. Elle acquiert très vite une grande crédibilité et obtient des financements officiels du commissariat au Plan et de la DATAR. On y rencontre plusieurs futurs membres du Club de Rome, comme Jean Saint-Geours et Serge Antoine, mais aussi François Bloch-Lainé et Jacques Delors. Aujourd'hui, même si l'association est moins influente, elle survit sous la houlette de Hugues de Jouvenel et finance ses activités par des opérations de conseils. Depuis 1975, elle édite la revue mensuelle Futuribles, dans laquelle sont commentés les travaux du Club de Rome et où l'on aborde les grands thèmes de l'écologie réformiste : développement durable, pouvoir nucléaire, démographie, etc. On y retrouve les signatures d'écologistes tels que René Dumont, Brice Lalonde et Guy Aznar.

    Bertrand de Jouvenel a très tôt défini les thèmes qui seront repris par les écologistes, notamment dans deux ouvrages : Arcadie, essai sur le mieux vivre (SEDElS, 1970), et La civilisation de puissance (Fayard, 1976). Il y fustige la pensée économique libérale et l'idéologie de la croissance. ll est l'un des premiers à demander à ce que l'on internalise les coûts représentés par la destruction du capital naturel et a cette phrase célèbre pour dénoncer la comptabilité en usage dans le système du PNB : « Selon notre manière de compter, nous nous enrichirions en faisant des Tuileries un parking payant et de Notre-Dame un immeuble de bureaux. » Bertrand de Jouvenel demande donc aux économistes de tranformer leurs modes de calculs en prenant en compte de nouveaux paramètres, à commencer par les biens gratuits que sont l'eau douce et l'air. Ensuite, il recommande à l'industrie de se lancer dans le recyclage de ses déchets et de prendre en compte les coûts externes générés par ses activités polluantes.

    Plus généralement, de Jouvenel remet en question le productivisme, qu'il soit capitaliste ou soviétique, parce qu'il va à l'encontre d'un enracinement qu'il considère comme fondamental pour l'ordre social :

    « Que l'homme soit enraciné dans un lieu géographique, qu'il y soit attaché parce que là sont les tombeaux de ses pères, là se situent les souvenirs de son enfance et de sa jeunesse, là sont noués ses liens familiaux et amicaux, là en un mot sont ses amours et ses responsabilités, qui donnent un sens à sa vie : cela de tout temps et par tous a toujours été jugé un bien. Or cela est devenu un mal au regard de l'exigence productiviste. »

    Et Jouvenel voit la solution dans une écologie politique qui se placerait au dessus de la science économique en intégrant celle-ci. Cette nouvelle vision appliquerait à la société les enseignements tirés de l'étude de la nature et de son fonctionnement cyclique.

    Parmi ceux qui se réclament explicitement de la pensée de Robert Hainard, notons Antoine Waechter et Solange Fernex, deux responsables des Verts. Antoine Waechter a été jusqu'à prononcer une conférence sur son oeuvre en 1998, devant un auditoire de la Nouvelle Droite. Philippe Lebreton, directeur de l'influente FRAPNA, et membre dirigeant de France-Nature-Environnement, préface la seconde édition de Nature et mécanisme. En échange, Robert Hainard postfacera en 1988 le livre de Lebreton, La nature en crise (Sang de la Terre). Et Jean-François Terrasse, directeur scientifique du WWF France, préface la deuxième édition de Et la nature ? Un groupe de réflexion intitulé symboliquement « Diogène » rassemble les partisans de Robert Hainard de 1970 à 1973. On y retrouve des militants écologistes comme Antoine Waechter et Solange Fernex, mais aussi des technocrates internationaux comme Jacques Delors et Denis de Rougemont.

    On retrouve Robert Hainard en 1989 au comité de soutien de l'Association pour la protection des animaux sauvages, ainsi qu'au comité d'honneur du Rassemblement des opposants à la chasse, mais il est assez peu présent sur le terrain de l'écologie politique. Pourtant, c'est directement de lui que va naître le premier parti écologiste français. Directement issu de Diogène et des associations alsaciennes de protection de la nature, le mouvement Ecologie et Survie, lancé par Antoine Waechter et Solange Fernex, participe aux élections législatives de 1973 en présentant Henri Jenn, qui obtient 2,7%. À Paris nait peu après le Mouvement écologique, sur les mêmes bases. Ces mouvements, et ceux auxquels ils ont donné naissance dans d'autres régions françaises se retrouvent en 1978 dans une coordination « Ecologie 78 » animée par Philippe Lebreton, puis aux européennes de 1979, où ils soutiennent la liste « Europe écologie » avec Solange Fernex pour tête de liste. A chaque fois, sont affirmées des préoccupations essentiellement écologiques : on dénonce la société industrielle et l'atome, on promeut l'agriculture biologique et la lutte contre le gaspillage. Dans cette perspective, on exclut de participer à un vaste front de lutte sociale, notamment avec le PSU, les radicaux de gauche ou des partis d'extrême-gauche. Toute cette tendance va se retrouver dans le Mouvement d'écologie politique (1980-1982) puis dans les Verts-Parti écologiste.

   

    Le naturalisme subversif de Serge Moscovici et Brice Lalonde

    L'autre grande tendance est liée à la personnalité de Brice Lalonde et aux idées de Serge Moscovici. Celui-ci a joué un grand rôle dans la déconstruction de la modernité. Moscovici estime que si celle-ci libère l'homme des assauts d'une nature cruelle, elle le soumet en contrepartie à des contraintes pesantes : marché de dupe auquel il faudrait renoncer en revenant aux traditions naturelles et à l'enracinement. Contrairement à la tendance philosophique moderne qui invite l'homme à s'arracher à ses déterminismes, Moscovici refuse de diaboliser la nature et de magnifier la culture. Pour lui, il faut abandonner toute vision universaliste, forcément totalitaire, et favoriser l'expression spontanée de minorités naturelles. C'est ainsi qu'avec La société contre nature, (Union générale d'Edition, 1972) Serge Moscovici va poser les fondements d'une philosophie politique de l'écologie.

    Cela commence par une remise en cause fondamentale, celle de la domestication. Celle-ci se fonde sur l'idée que la société doit lutter contre la nature pour imposer l'ordre et la paix, l'état de nature étant assimilé à un état de guerre. La domestication implique le contrôle de ce qui est naturel en nous (instincts, pulsions, etc.) et autour de nous (la nature à conquérir). Très vite, les principaux ennemis apparaissent : le judéo-christianisme, du fait de l'injonction biblique demandant à l'homme de « faire du monde un jardin », et la science rationnelle qui instrumentalise la nature.

    ll s'agit donc de contester cette coupure nature-culture :

    « Qu'est-ce qui permet de soutenir, si on ne le postule pas pour des raisons extrinsèques, religieuses ou philosophiques, que les lois sociales se séparent des lois bio-naturelles et s'y substituent ? »

    Si la raison a eu l'avantage de libérer l'homme de craintes irrationnelles et de démystifier nombre de légendes, elle a commis le crime irréparable de « dé enchanter le monde ». Il faut donc ensauvager la vie en levant les tabous comme Ia prohibition de l'inceste, en laissant revenir les pulsions naturelles réprimées et en contestant toute autorité. Dans cette perspective, l'Etat devient l'ennemi absolu, parce qu'il va de pair avec la militarisation, le progrès scientifique et technologique. A l'inverse, la communauté, la famille élargie à plusieurs générations, le village, sont les lieux naturels de l'épanouissement humain.

    Dans son livre Histoire de l'écologie politique, Jean Jacob remarque :

    « L'éloge de la terre, de l'enracinement, du pays réel contre le pays légal, la référence constante à la nature sont des thèmes ancrés depuis plusieurs décennies à l'extrême-droite. Ce n'est qu'à la suite du mouvement de mai 68 que certaines interrogations proches ont à nouveau pu acquérir droit de cité dans le débat intellectuel et sortir de l'opprobre dans lequel les avait jetés le régime de Vichy. »

    Moscovici se revendique de cette filiation subversive et non bien sûr de la tradition réactionnaire. Néanmoins, certains passages de son oeuvre font vraiment penser au naturalisme conservateur :

    « Le régime des castes est la tentative la plus élaborée qu'on ait faite pour identifier l'ordre naturel à l'ordre social, la reproduction sociale et la reproduction biologique avec la reproduction naturelle, bref pour atteindre l'équilibre parfait. »

    Moscovici n'est pas seul. Il gravite dans une nébuleuse contreculturelle l'on trouve les sociologues Edgar Morin et Alain Touraine, les écrivains régionalistes Robert Laffont et Bernard Charbonneau, les écologistes du groupe ECOROPA et le Groupe des Dix de Jacques Robin. Dès le début des années 70, il rejoint les Amis de la Terre où il rencontre Brice Lalonde, qui deviendra son porte-voix en politique. Moscovici, lui, même s'il a été parfois candidat à des élections, ne croit pas à la construction d'un parti écologiste centralisé. II préfère la notion de réseau fédérant des mouvements féministes, écologistes, régionalistes, pacifistes. Moscovici a eu une certaine influence sur la deuxième gauche, notamment sur Alain Touraine qui travaillera pendant deux ans sur le mouvement antinucléaire. Dans La Prophétie antinucléaire, (Seuil, 1980) il écrit :

    « Explorant les luttes sociales d'aujourd'hui pour y découvrir le mouvement social et le conflit qui pourraient jouer demain le rôle central qui a été celui du mouvement ouvrier et des conflits du travail dans la société industrielle, nous attendons de la lutte antinucléaire qu'elle soit la plus chargée de mouvement social et de contesta tion, la plus directement porteuse d'un contre-modèle de société. »

    C'était l'époque où André Gorz parlait d'« électrofascisme » à propos d'EDF. Tout un courant de la deuxième gauche et de l'extrême-gauche identifiera ainsi l'énergie nucléaire au totalitarisme, parce qu'elle incarne au plus haut point les valeurs de l'Etat-nation : armée, centralisation, progrès technique. Le slogan « société nucléaire, société policière, société totalitaire » sera l'un des mots d'ordre qui conduira à des assassinats d'ingénieurs et de dirigeants du secteur nucléaire, au premier rang desquels Georges Besse et René Audran.

    En réalité, ce contre-modèle fera long feu. Brice Lalonde commencera sa carrière dans un rôle de « gauchiste romantique » selon sa propre expression. Il la terminera assez lamentablement auprès du libéral Alain Madelin après avoir tenté de manger à tous les rateliers. Entre-temps, il aura été candidat de tous les écologistes à l'élection présidentielle de 1981 (3,9% des voix) ; en 1984, il dirigera la liste ERE (Entente radicale écologiste) aux élections européennes, avec Olivier Stirn et François Doubin. En 1988, il soutient François Mitterrand pour un second mandat, ce qui lui vaudra un portefeuille de ministre de l'Environnement dans le gouvernement Rocard. C'est à cette époque qu'il lance son mouvement Génération Ecologie, avec de prestigieux parrainages (Haroun Tazieff, le Pr Minkowski, Jean-Louis Borloo, Bernard Clavel, Noel Mamère, etc.). On trouve aussi des militants écologistes de la première heure tels que Corinne Lepage et son mari Christian Huglo, Hugues de Jouvenel, le responsable des Futuribles, les journalistes Guy Konopnicki et Guy Aznar, ou encore la député socialiste Marie-Noëlle Lienemann. Le succès initial aux élections régionales de 1992 se révélera être un feu de paille et le mouvement se délitera très vite du fait de la pratique autocratique de Brice Lalonde, qui n'est finalement libertaire que vis-à-vis du pouvoir des autres. La versatilité de la ligne politique de Lalonde et la montée en puissance de Dominique Voynet au sein des Verts feront le reste. L'essentiel des fondateurs quitte le mouvement pour créer des mouvements dissidents qui iront, au bout de quelques années, rejoindre les Verts. Brice Lalonde continuera seul son chemin en soutenant successivement Michel Rocard, Edouard Balladur, Raymond Barre, Jacques Chirac et Alain Madelin.

   

    Naissance et développement des Verts

    Le flambeau du naturalisme subversif al lait être repris au sein des Verts par des militants qui ne sont pas les héritiers directs de Moscovici mais qui viennent des mêmes cercles. Toutefois, cela allait passer d'abord par une longue période de cohabitation avec des naturalistes conservateurs tels que Waechter. C'est en 1984 que naissent officiellement les Verts, comme fusion de deux tendances bien distinctes : d'un côté, les Verts-Parti écologiste, d'Antoine Waech ter, Philippe Lebreton et Solange Fernex ; de l'autre, les Verts-Confédération écologiste, composée de militants des Amis de la Terre ayant choisi, contrairement à leur leader Brice Lalonde, de poursuivre l'action politique de façon fédérative. C'est là que l'on retrouve Yves Cochet et Dominique Voynet.

    Au départ, ces derniers sont d'ailleurs majoritaires chez les Verts. Mais très vite, dès 1986, Antoine Waechter va s'imposer avec sa motion « L'écologie n'est pas à marier ». Autrement dit, ni droite ni gauche. Cette victoire d'un partisan revendiqué de Robert Hainard remplit de joie la plupart des écologistes de terrain, souvent réticents devant les restes de gauchisme chez certains soixante huitards. Un organe comme Combat-Nature soutiendra toujours Waechter. Néanmoins, après avoir régné sur les Verts pendant sept ans, Waechter est mis en minorité par Dominique Voynet en 1993, et quitte le parti en 1994 pour fonder le Mouvement écologiste indépendant dont l'influence électorale restera confidentielle. Chez les Verts, Dominique Voynet et Yves Cochet vont imposer l'accueil de l'ancien communiste Pierre Juquin et l'alliance avec les socialistes aux législatives de 1997. Avec six députés et un ministère à la clef.

    Quelle que soit l'intérêt qu'il y a à analyser la division en deux tendances qui existe au sein du mouvement écologiste, il reste que celui-ci se réunit autour de quelques dogmes fondamentaux :

    •    opposition totale au capitalisme industriel aussi bien qu'au productivisme marxiste ;
    •    opposition absolue à l'énergie nucléaire ;
    •    volonté d'arrêter la croissance démographique, voire de promouvoir une baisse de la population mondiale.

    D'ailleurs, il reste des naturalistes conservateurs convaincus au sein des Verts, et ceux-ci n'attendent que l'occasion pour reprendre le pouvoir sur une Dominique Voynet affaiblie par les contraintes de la majorité plurielle. Elle a souvent dû accepter ce qui constituait des hérésies pour les Verts : autorisation données aux organismes génétiquement modifiés, extension de l'usine MELOX, création des laboratoires souterrains sur les déchets radioactifs, redémarrages de Phénix, de Civaux, etc.

    Certains s'attendent à ce que les Verts éclatent à nouveau, une frange allant rejoindre le PS pour y créer un courant, l'autre revenant à l'intransigeance waechtérienne. Quoi qu'il en soit, l'important n'est pas là, mais dans la diffusion progressive des thématiques écologistes dans tous les partis. Les critiques du productivisme, autrefois limitées au Front national de Jean-Pierre Stirbois et aux Verts, sont désormais entrées chez tous les partis, avec plus ou moins de force. Même au RPR ou au parti communiste, bastions de l'idéologie productiviste, on trouve désormais des opposants au nucléaire ou des chantres du développement durable. Sous cet angle, on peut dire que les écologistes ont réussi leur conquête de la France.

    Cette conquête a été largement favorisée par des têtes d'affiche telles que Jacques-Yves Cousteau ou Hubert Reeves. Le premier fut pendant dix ans premier au hit-parade des Francais les plus populaires organisé chaque mois par le Journal du Dimanche. Ces personnalités étaient déjà des vedettes scientifiques (Cousteau en biologie marine, Haroun Tazieff en volcanologie, Paul-Emile Victor en ethnologie, Reeves en astronomie, etc.) et elles n'ont rencontré les thématiques écologistes que relativement tard. Mais elles ont joué un rôle très important pour les vulgariser et surtout pour les légitimer. Cousteau a été ainsi présenté au Sommet de Rio par le secrétaire général Maurice Strong :

    « C'est mon héros. Un homme qui a plus de pouvoir que bien des chefs d'Etat. Je vous présente le Captain Planet. »

    Et Cousteau se livre devant les chefs d'Etat et les milliers de participants à un long discours sur les dangers de la démographie, principale menace pour l'environnement. Cousteau est un malthusien radical, qui ne prend pas de gants pour exprimer sa pensée. Dans la revue de l'Unesco de novembre 1991, le rédacteur en chef du Courrier de l'Unesco demande au commandant Cousteau : « Il y a des espèces animales qui constituent des menaces pour l'homme, comme certains serpents, certains moustiques. Peut-on les éliminer comme on tente d'éliminer les virus responsables de telle ou telle maladie ? » Cousteau lui donne la réponse suivante :

    « L'élimination des virus relève d'une idée noble, mais elle pose à son tour d'énormes problèmes. Entre l'an 1 et l'an 1400, la population n'a pratiquement pas changé. A travers les épidémies, la nature compensait les abus de la natalité par les abus de la mortalité. (...) Nous voulons éliminer les souffrances et les maladies ? L'idée est belle, mais elle n'est pas tout à fait bénéfique sur le long terme. Il est à craindre que l'on ne compromette ainsi l'avenir de notre espèce. C'est terrible à dire. Il faut que la population mondiale se stabilise et pour cela, il faudrait éliminer 350.000 personnes par jour. C'est si horrible à dire qu'il ne faudrait même pas le dire. Mais c'est l'ensemble de la situation dans laquelle nous sommes engagés qui est lamentable. »

    Cousteau a ensuite nié avoir tenu ces propos. Mais le rédacteur en chef du Courrier de l'Unesco conserve soigneusement le texte de l'interview, révisé de la main de Cousteau et portant sa signature ! De plus le journaliste a également gardé la bande magnétique de l'entretien qui, selon lui, contient des choses encore plus extrémistes qu'il n'a pas osé imprimer. Du genre « la vie d'une fourmi vaut celle d'un homme ». Où trouver les 350 000 personnes à éliminer ? Pas dans la famille Cousteau en tout cas : avant de mourir, le commandant s'est mis en ménage avec une hôtesse de l'air de 40 ans sa cadette, et à 70 ans lui a fait deux enfants à ajouter aux deux fils issus de son mariage précédent. La surpopulation c'est les autres ! Et pour être tout à fait clair, lorsqu'on lui demande comment il pose le problème de la surpopulation, il répond (Quotidien de Paris du 5 juin 1991) :

    « C'est simple. Dans soixante-dix ou quatre-vingts ans, on ne parlera plus anglais aux Etats-Unis. La deuxième ville du Mexique s'appellera Los Angeles. En France ce sera pareil. L'Europe va être envahie par les musuImans d'Afrique du Nord. Où est ce qu'ils vont aller pendant que le Sahara continue de gagner du terrain ? Ils vont arriver ici avec des bateaux ! Va-t-on leur tirer dessus ? Non... On ne parlera plus français, allemand, espagnol, italien. On parlera arabe. »

    Comme la plupart des opérations écologistes, Cousteau a bénéficié du soutien de lobbies financiers de poids. C'est le milliardaire Ted Turner (patron de CNN) qui a lancé sa carrière télévisuelle en finançant ses expéditions et ses films dans les années 60 et 70. En 1986, le fonds des films Cousteau est racheté pour 200 millions de francs par la banque Worms.

        Même s'il est loin d'être aussi fanatique et extrémiste que Cousteau, Hubert Reeves, astrophysicien au CEA et à la télévision française joue aujourd'hui un rôle similaire. Réagissant à un reportage sur les écoguerriers anglais diffusé sur France 3, où l'on voyait notamment des opérations de résistance passive mais aussi des menaces de mort, il a ainsi déclaré :

    « Sans aller jusqu'à approuver les actions terroristes, je pense que leur cause est bonne. Je suis très admiratif de leur courage. Je trouve très bien que ces jeunes se mobilisent pour des actions que l'on peut qualifier d'héroïques. »
(I&E du 9 mars 1999.)

Table des matières

<préc. - suiv.>
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