PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)
TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE
1861
CHAPITRE XVII :
CONTINUATION DU MÊME SUJET.
§ 8. — Ses effets, tels qu’ils se révèlent dans les prix des matières premières et des produits achevés, sur le marché anglais.
Le lecteur comprendra peut-être l'effet du système après avoir examiné le tableau comparatif suivant des articles que le peuple anglais peut vendre et de ceux qu'il a besoin d'acheter :
Articles qu'il vend. 1815. 1852.
Fer en barres, la tonne 13 liv. 5 schell. ‘’ 9 liv. ‘’
Étain, le quintal 7 ‘’ ‘’ 5 2 schell.
Cuivre — — 6 5 ‘’ 5 10
Plomb — — 1 6 6 pence 1 4
Articles qu'il achète.
Coton, par livre ‘’ 1 sch. 6 pence ‘’ ‘’ 6 pence
Sucre, le quintal 3 ‘’ ‘’ 1 ‘’ ‘’
Tandis que les principaux articles de production étrangère sont tombés à un tiers des prix de 1815, le fer, le cuivre, l'étain et le plomb, les produits que l'Angleterre fournit au monde n'ont diminué que d'environ 25 %. Il est plus difficile de montrer les changements subis par les tissus, mais que les planteurs donnent constamment une plus grande quantité de coton pour une quantité moindre d'étoffes de coton, c'est ce que l'on pourra constater en examinant les faits énoncés ci-dessus, relativement aux années récentes où la récolte fut abondante, comparativement à ce qui se passa quelques années auparavant. De 1830 à 1835, le prix du coton, aux États-Unis, fut d'environ 11 cents, prix que nous pouvons supposer qu'il obtiendrait, à peu de chose près, en Angleterre sans le fret et les frais de diverse nature. Dans le cours de ces années, la moyenne de nos exportations fut de 320 000 000 de livres, rapportant environ 35 000 000 de dollars ; et le prix moyen des étoffes de coton, par pièce de 24 yards, pesant 5 livres 12 onces, était de 7 schell. 10 pence (1 dollar 88 c.) ; celui du fer, de 6 liv. sterl. 10 schell. (31 doll. 20). Nos exportations auraient donc produit, rendues à Liverpool, 18 500 000 pièces de toile, soit environ 1 100 000 tonnes de fer. En 1845 et 1846, le prix moyen, dans notre pays, fut de six cents et demi, ce qui donne comme produit d'une quantité similaire 20 000 000 de dollars. Le prix de la toile ayant été de 6 schell. 6 pence 3/4 (1 dollar 57 1/2), et celui du fer de 10 liv. sterl. (48 dollars), le résultat obtenu fit ressortir que les planteurs pouvaient se procurer, pour à peu près la même quantité de coton, environ 12 500 000 pièces d'étoffe, ou environ 420 000 tonnes de fer, rendues également à Liverpool. Partageant la rémunération entre les deux denrées, elle s'établit comme il est indiqué ci-dessous :
Moyenne de 1830 à 1835. 1845-6. Perte.
Toile 9 250 000 pièces 6 250 000 3 000 000
Fer 550 000 tonnes 210 000 340 000
Le travail nécessaire pour convertir le coton en toile avait diminué considérablement, et cependant la proportion retenue par les manufacturiers avait augmenté de beaucoup, ainsi qu'on va le voir.
Poids du coton Poids du coton Retenu par les
employé, donné aux planteurs. manufacturiers.
1830-35 320 000 000 110 000 000 210 000 000
1845-46 320 000 000 76 000 000 244 000 000
Dans la première période, il retournait au planteur 34 % de son coton sous la forme de toile, mais dans la seconde, ce n'était plus que 24 %. Celui qui moud le blé au moulin donne au fermier, d'année en année, une proportion plus considérable du produit de son grain ; et de cette façon, le dernier participe aux avantages qui découlent de chaque perfectionnement. Celui qui met en oeuvre le moulin à coton donne au planteur, d'année en année, une proportion plus faible de la toile produite. Le premier se rapproche chaque jour davantage du producteur ; le second s'en éloigne davantage chaque jour, parce qu'il est forcé lui-même d'épuiser sa terre et de s'éloigner, chaque année, de plus en plus de son marché.
On va voir maintenant comment ceci s'opère sur une grande échelle, en examinant les faits suivants :
La valeur déclarée ou réelle des exportations de
production ou fabrication anglaise en 1815 était de 51 632 971 Liv. Sterl.
Et la quantité (7) de marchandises étrangères retenue
pour la consommation pendant cette année fut de 17 238 841 Liv. Sterl.
Ceci démontre, conséquemment, que les prix des matières premières du globe étaient alors d'un prix élevé, par comparaison avec les articles que l'Angleterre avait à vendre.
En 1849, la valeur des exportations anglaises était de 63 596 025 Liv. Sterl.
Et la quantité de marchandises étrangères retenue
pour la consommation ne fut pas de moins que 80 312 717 Liv. Sterl.
Nous voyons ainsi que, tandis que la valeur des exportations avait augmenté seulement d'un tiers, le produit reçu en échange était presque quintuple ; et c'est ici que nous constatons l'effet de cette concurrence illimitée pour la vente en Angleterre des matières premières du monde entier, et la concurrence limitée pour l'achat des matières fabriquées qui est l'objet du système à établir.
De quelque côté que l'on jette les yeux, on s'aperçoit qu'en même temps que sous l'influence d'un système naturel, les prix des matières premières répandues sur le globe et ceux des produits achevés tendent constamment à s'équilibrer, ne laissant plus qu'une part proportionnelle moindre aux individus qui s'occupent du transport et de la transformation, c'est le contraire directement qui arrive dans tous les pays soumis au système anglais, les proportions du nombre de ces individus tendant constamment à s'accroître, et la possibilité, pour le producteur, de se procurer les services de l'argent tendant aussi invariablement à diminuer. Plus est bas le prix de la toile et plus est élevé le prix des subsistances et du coton, plus sera grande la tendance à la liberté. Plus le prix de la toile est élevé et plus baissera le prix des subsistances et du coton, plus sera grande la tendance à la servitude. Le système anglais tend à mettre à bas prix les matières premières de la toile et à augmenter la difficulté de se procurer la toile elle-même ; et c'est ainsi qu'il se meut dans une direction précisément opposée à celle du progrès de la civilisation. Reportez-vous toujours en arrière et n'importe où, les faits qui ont lieu sous l'influence d'un pareil système, ne peuvent s'expliquer qu'à l'aide d'une théorie de l'excès de population, suivant laquelle, l'esclavage final de l'homme, pourrait être considéré comme un des éléments de la loi divine.