PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)
TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE
1861
CHAPITRE XIX :
CONTINUATION DU MÊME SUJET.
§ 1. — Phénomènes divers qui accompagnent le progrès de la civilisation et le développement de la barbarie.
A l'aide de l'association avec ses semblables, l'homme obtient le pouvoir sur la nature ; il substitue à l'action de ses bras la vapeur, l'électricité et les autres forces, et il abandonne la culture des sols ingrats des terrains élevés pour les sols riches des terrains d'alluvion, en même temps qu'il obtient un accroissement constant dans la facilité de se procurer les subsistances, les vêtements et l'abri nécessaires pour sa nourriture et l'entretien de son existence.
Pour mettre les hommes à même de s'associer et de combiner leurs efforts, il faut qu'il y ait diversité dans les modes de travail, diversité qui développe les facultés variées des individus, qui les rend propres à l'association, et qui produit cette richesse d'intelligence à l'aide de laquelle ils peuvent appliquer ces forces à leur service. Le commerce s'accroît avec le développement de l'intelligence et l'augmentation de la richesse. Plus l'accroissement du commerce est rapide, plus il y a tendance à ce que la matière revête les formes sous lesquelles elle est le mieux appropriée aux besoins de l'homme ; plus est régulière et abondante la quantité des subsistances et des moyens de se vêtir, plus se prolonge la durée de la vie et plus est continu et régulier le mouvement de la société ; et plus est considérable la tendance à l'amoindrissement du pouvoir de ceux qui vivent du trafic et du transport des denrées, et à l'accroissement de la liberté humaine.
Tels sont les faits observés en tout pays d'une civilisation avancée.
Si nous considérons ensuite ceux où la barbarie fait des progrès, nous trouvons que tous les faits sont directement opposés ; la puissance d'association décline avec la diversité décroissante des travaux ; les individus se bornent de plus en plus à l'unique occupation d'effleurer la surface du sol pour y chercher leur nourriture ; les terrains riches sont depuis longtemps abandonnés, les subsistances deviennent plus rares, les famines et les pestes plus fréquentes, le commerce décline, le trafic devient de plus en plus l'arbitre du sort des malheureux cultivateurs, la population diminue, la chaîne de la société perd de jour en jour quelqu'un des chaînons qui la relient, et la société elle-même tend de plus en plus à revêtir une forme semblable à celle qu'on trouve aujourd'hui parmi les peuplades sauvages, qui souffrent le plus du mal de l'excès de population.