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1 novembre 2004 1 01 /11 /novembre /2004 10:58

PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)

henry_charles_carey.jpg

TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE

  1861

 

 

 

 

 

 

CHAPITRE XI :

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

 

    § 3. — Idées d'Adam Smith relativement aux avantages du commerce.


    Société, association, et commerce ne sont, ainsi que nous l'avons démontré, que des formes diverses pour exprimer la même idée, et cette idée exprime le premier de tous les besoins de l'homme. Sans association, il ne peut exister de société, et sans société il ne peut exister de commerce. Ces trois mots retracent le mouvement qui s'accomplit parmi les individus et résultant de l'échange des services ou des idées, produits de la force musculaire ou des efforts intellectuels. Plus la forme de la société est parfaite, plus seront toujours considérables les différences entre ses diverses parties, plus sera toujours, également, continu et régulier leur mouvement réciproque, et plus sera considérable la force exercée. Il en est de même à l'égard de tout instrument inventé par l'homme, dans le but d'asservir à son profit les forces prodigieuses de la nature. Les merveilles accomplies par la machine à vapeur sont grandes ; elles le sont à tel point qu'elles seraient regardées comme tout à fait incroyables, par un individu qui aurait quitté le monde il y a cinquante ans ; et cependant il n'est guère possible de fixer un prix que l'on ne payât pas aujourd'hui, à qui trouverait le secret d'une machine rotatoire fonctionnant parfaitement, par la raison, qu'au moyen de cette machine, la rapidité du mouvement pourrait encore être augmentée d'autant. C'est le mouvement continu de la société que recherchent les individus, lorsqu'ils aiment mieux conclure leurs affaires tête à tête et verbalement, plutôt que d'avoir recours au mouvement constamment interrompu de la correspondance. C'est ce mouvement que cherche tout inventeur d'une machine, tout possesseur d'usine, tout individu, en réalité, qui désire accroître son empire sur les forces que la nature fournit pour les besoins de l'homme. C'est ce mouvement que nous retrace Adam Smith dans les passages suivants, que nous donnons dans toute leur étendue, par ce motif que leur illustre auteur est cité fréquemment comme une autorité à l'appui du système qui a pour but de fonder le trafic aux dépens du commerce.

    « Un pays enfoncé dans les terres, naturellement fertile et d'une culture aisée, produit un grand surcroît de vivres, au-delà de ce qu'exige la subsistance des cultivateurs et l'énormité des frais de transport par terre. L'incommodité de la navigation des rivières peut, souvent, rendre difficile l'exportation de cet excédant de produits. L'abondance met donc les vivres à bon marché et encourage un grand nombre d'ouvriers à s'établir dans le voisinage, où leur industrie leur permet de satisfaire aux besoins et aux commodités de la vie, mieux que dans d'autres endroits. Ils travaillent sur place les matières premières que produit le pays, et ils échangent leur ouvrage, ou ce qui est la même chose, le prix de leur ouvrage, contre une plus grande quantité de matières et de vivres. Ils donnent une nouvelle valeur au surplus de ce produit brut, en épargnant la dépense de le transporter au bord de l'eau, ou à quelque marché éloigné ; et ils donnent, en échange, aux cultivateurs, quelque chose qui leur est utile ou agréable, à de meilleures conditions que ceux-ci n'auraient pu se le procurer auparavant. Les cultivateurs trouvent un meilleur prix du surplus de leurs produits, et ils peuvent acheter, à meilleur compte, d'autres choses à leur convenance et dont ils ont besoin. Cet arrangement les encourage donc, en même temps qu'il leur permet d'augmenter encore ce surplus de produits, par de nouvelles améliorations et par une culture plus soignée de leurs terres ; et de même que la fertilité de la terre a donné naissance à la manufacture, de même la manufacture, en se développant, réagit à son tour sur la terre, et augmente encore sa fertilité. Les manufacturiers fournissent d'abord le voisinage, et, plus tard, à mesure que leur ouvrage se perfectionne, des marchés plus éloignés ; en effet, si le produit brut, et même le produit manufacturé d'une grossière fabrication, ne peuvent, sans de très-grandes difficultés, supporter les frais d'un long transport par terre, des ouvrages d'un travail perfectionné peuvent le supporter aisément. Sous un petit volume, ils contiennent, souvent, le prix d'une grande quantité de produit brut. Une pièce de drap fin, par exemple, qui ne pèse que 80 livres, renferme, non-seulement le prix de 80 livres pesant de laine, mais quelquefois de plusieurs milliers pesant de blé, employé à la subsistance des différents ouvriers qui ont travaillé cette laine, et de ceux qui les ont mis en oeuvre directement. De cette manière, le blé qu'il eût été si difficile de transporter au loin, sous sa première forme, se trouve virtuellement exporté sous la forme d'un produit complet et peut, sous cette forme, s'exploiter facilement dans les coins du monde les plus reculés. C'est ainsi que se sont élevées, naturellement et pour ainsi dire spontanément, les manufactures de Leeds, d'Halifax, de Sheffield, Birmingham et Volwerhampton. De pareilles manufactures doivent leur naissance à l'agriculture (4).
» 

    « Le grand commerce de toute société civilisée est celui qui s'établit entre les habitants de la ville et ceux de la campagne. Il consiste dans l'échange du produit brut contre le produit manufacturé, échange qui s'opère, soit d'une façon immédiate, soit par l'intervention de la monnaie, ou de quelque espèce de papier qui la représente. La campagne fournit à la ville des moyens de subsistance et des matières pour ses manufactures. La ville rembourse ces avances, en renvoyant aux habitants des campagnes une partie du produit manufacturé. On peut dire que la ville, dans laquelle il n'y a ni ne peut y avoir aucune reproduction de substances, gagne, à proprement parler, toute sa subsistance et toutes ses richesses sur la campagne. Il ne faut pourtant pas s'imaginer, par ce motif, que la ville fasse ce gain aux dépens de la campagne. Les gains sont réciproques pour l'une et pour l'autre, et dans cette circonstance comme dans toute autre, la division du travail tourne à l'avantage des différents individus employés aux tâches particulières dans lesquelles le travail se subdivise. Les habitants de la campagne achètent de la ville une plus grande quantité de denrées manufacturées, avec le produit d'une bien moindre quantité de leur propre travail qu'ils n'auraient été obligés d'en employer, s'ils avaient essayé de les préparer eux-mêmes. La ville fournit un marché au surplus du produit de la campagne, c'est-à-dire à ce qui excède la subsistance des cultivateurs, et c'est là que les habitants de la campagne échangent ce surplus, contre quelque autre objet dont ils ont besoin. Plus les habitants de la ville sont nombreux et plus ils ont de revenu, plus est étendu le marché qu'ils fournissent à ceux de la campagne ; et plus ce marché est étendu, plus il est toujours avantageux pour le grand nombre. Le blé qui croît à un mille de la ville, s'y vend au même prix, que celui qui vient d'une distance de vingt milles. Mais le prix de celui-ci doit, en général, non-seulement payer la dépense nécessaire pour le faire croître et l'amener au marché, mais rapporter au fermier les profits ordinaires de la culture. Les propriétaires et les cultivateurs du pays placé dans le voisinage de la ville, gagnent donc, dans le prix qu'ils vendent, outre les profits ordinaires de la culture, toute la valeur du transport du pareil produit qui est apporté d'endroits plus éloignés, et ils épargnent, en outre, toute la valeur d'un pareil transport, sur le prix de ce qu'ils achètent. Comparez la culture des terres situées dans le voisinage d'une ville considérable, avec celle des terres qui en sont à quelque distance, et vous pourrez vous convaincre aisément combien la campagne retire d'avantage de son commerce avec la ville (5). »

    Le mouvement que l'on retrace ici est caractérisé avec raison comme étant le commerce. Le bon sens si droit d'Adam Smith lui fit comprendre ce qu'il y avait d'erroné dans un système qui trouvait uniquement dans les importations et les exportations l'indice de la prospérité ; il lui fit comprendre aussi pleinement l'énorme déperdition de travail, résultant de ce fait, d'imposer aux sociétés la nécessité d'exporter la laine, le blé, le coton et les autres produits de la terre sous leur forme la plus grossière, pour leur être renvoyés de nouveau sous la forme de vêtements. Adam Smith n'avait foi à aucune espèce de centralisation. Il croyait, moins que tout autre, à celle qui avait pour but de contraindre tous les fermiers et tous les planteurs de venir à un marché unique, et d'augmenter la nécessité d'avoir recours aux voitures et aux navires, en accroissant ainsi les profits du trafiquant, et la part proportionnelle de toute population vouée nécessairement à effectuer les changements de lieu. Au contraire, il avait une foi pleine et entière dans le système des centres locaux, à l'aide desquels, ainsi qu'il le voyait si clairement, le commerce s'était partout développé sur une si grande échelle ; et c'était là le système sur lequel il voulait appeler l'attention de ses compatriotes. Depuis ce jour, cependant, et jusqu'à présent, on a suivi le système qu'il dénonçait ; tous les efforts de ceux-ci ont tendu à produire le résultat suivant : continuer à élever à son apogée la taxe du transport des produits ; et c'est là peut-être que nous pouvons trouver la cause de l'idée de population surabondante.

 

 

 

 

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