PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)
TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE
1861
CHAPITRE IX :
DE L'APPROPRIATION.
§ 7. — Phénomènes sociaux qui se révèlent dans l'histoire de Venise, de Pise et de Gènes.
Si maintenant nous tournons nos regards vers Venise, nous assisterons à une succession non interrompue de guerres entreprises en vue du trafic, et qui tendaient constamment à centraliser le pouvoir entre les mains d'un petit nombre d'hommes que le hasard de la naissance ou de la fortune, avait placés à la tète de l'État pour le diriger. Démocratique, à l'origine, nous voyons son gouvernement devenir d'âge en âge plus aristocratique, jusqu'à ce qu'enfin nous arrivions à l'époque de la dissolution du Grand Conseil, mesure dirigée contre tous ceux qui n'en avaient pas encore fait partie (6). Elle fut suivie de l'établissement du fameux Conseil des Dix, dont les espions pénétraient dans toutes les maisons, dont les supplices pouvaient atteindre tout individu quelque élevé que fût son rang, et dont l'existence même était complètement incompatible avec rien qui pût se rapprocher de la liberté du commerce. Dans la suite de son histoire, nous trouvons toujours Venise cherchant à établir son trafic, an moyen de son intervention militaire pour entraver le mouvement des autres peuples, et conquérant des colonies qui seront administrées uniquement au profit de son aristocratie trafiquante, frappant d'impôts ses sujets éloignés au point de faire renaître constamment une suite de tentatives de révolutions, dont la répression exige des flottes et des armées considérables ; et de cette manière, élevant la classe qui vivait de l'appropriation du bien d'autrui, en même temps qu'elle empêchait tout mouvement tendant au développement de l'individualité, ou à l'extension des habitudes d'association. Toute son histoire n'est que celle de la monopolisation constamment croissante du trafic et de la centralisation du pouvoir ; et l'on en aperçoit les conséquences dans ce fait, qu'elle n'a jeté aucunes racines dans la terre ; et lorsque arriva le jour de l'épreuve, elle tomba ainsi que l'avaient fait Athènes, Carthage et Rome, et pour ainsi dire sans qu'il fût besoin de lui porter un coup.
Les histoires de Gênes et de Pise ne sont, comme celle de Venise, que celles d'une succession constante de guerres entreprises pour s'assurer le monopole du trafic et de la puissance ; et cette puissance ainsi acquise, l'expérience le prouva, fut aussi instable que celles d'Athènes et de Carthage.