PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)
TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE
1861
CHAPITRE IX :
DE L'APPROPRIATION.
§ 5. — Phénomènes sociaux qui se révèlent dans l'histoire de Carthage.
L'histoire de Carthage n'est guère que le récit de guerres entreprises dans le but de monopoliser le trafic, et qui eurent pour principaux théâtres la Corse et la Sardaigne, la Sicile et l'Espagne. Elle dut s'assurer des colonies auxquelles étaient interdites toutes relations avec le reste du monde, si ce n'est par l'intermédiaire des marchands et des navires carthaginois ; et les colons fournissaient, eux-mêmes, au trésor de la métropole les moyens de développer le système dont ils avaient à souffrir ; dans les lieux où l'on ne pouvait établir de colonies, tous les mouvements du trafiquant étaient enveloppés du secret le plus rigoureux, le monopole étant le but qu'on se proposait ; et partout l'on avait recours, sans scrupule, aux moyens les moins délicats pour en assurer le maintien. Ne pouvant supporter de rivaux, les Carthaginois tenaient caché, comme un secret d'État, tout ce qui se rattachait au commerce de caravane, en même temps qu'ils étaient toujours prêts à autoriser les pirates qui voulaient capturer les navires de leurs voisins. Les monopoles remplissaient le trésor public, et la faculté de disposer de ses revenus assurait la puissance à une aristocratie qui faisait, du trafic, son premier et principal objet ; et pour s'assurer l'exercice de cette puissance, elle soudoyait les barbares de tous les pays, depuis le sud du Sahara jusqu'au nord de la Gaule. La splendeur de la ville s'accrut considérablement ; mais, ainsi qu'il arrive en pareil cas, où la faiblesse réelle est en raison de la force apparente, le jour de l'épreuve fit voir que les fondements de l'édifice social avaient été établis non sur le roc, mais sur de la poussière d'or et de sable ; et Carthage périt, ne laissant après elle qu'une nouvelle preuve fournie par son histoire, de la vérité de cette sentence : Que ceux qui vivent de l'épée doivent périr par l'épée.