PRINCIPES DE LA SCIENCE SOCIALE
PAR M. H.-C. CAREY (De Philadelphie)
TRADUITS EN FRANÇAIS PAR MM. SAINT-GERMAIN-LEDUC ET AUG. PLANCHE
1861
CHAPITRE IX :
DE L'APPROPRIATION.
§ 14. — Plus l'organisation de la société est élevée, plus est grande sa vigueur et plus est heureuse sa perspective de vitalité. L'accroissement dans la part proportionnelle des soldats et des trafiquants tend à la centralisation et à la mort morale, physique et politique.
La résistance à la gravitation soit dans le monde végétal, soit dans le monde animal, est en raison directe de l'organisation. Il en est de même, ainsi que le lecteur l'a vu, à l'égard de l'homme, Plus son organisation est élevée, plus s'agrandit sa perspective de vie. Il en est de même encore par rapport aux sociétés ; leur chance de vie s'accroit, à mesure qu'avec le développement des diverses facultés de leurs membres, leur organisation devient d'un ordre plus éminent. Le système suivi par les diverses communautés sociales dont nous avons parlé plus haut, ayant cherché à maintenir le pouvoir du soldat et du trafiquant, et à empêcher ce développement, leur résistance à la gravitation a nécessairement diminué, jusqu'à ce qu'enfin, comme à Athènes, à Carthage et à Rome, la mort mit fin à leur triste existence.
Tout accroissement dans la part proportionnelle de la société, qui se consacre à la guerre et au trafic, tend à amener la centralisation et l'esclavage ; c'est un résultat inévitable du décroissement de l'individualité et de la diminution de la puissance d'association volontaire. Toute diminution dans cette part proportionnelle, tend à produire la décentralisation, la vie et la liberté ; c'est une conséquence d'un développement plus intense de l'individualité, d'un accroissement de la puissance d'association, et d'une organisation plus parfaite de la société.
La force d'une communauté sociale croît en raison du développement de la puissance d'association, et de la perfection de son organisation. Plus sont nombreuses les différences parmi les membres, plus l'organisation doit être parfaite et plus grande doit être, conséquemment, la force.
Les différences résultent de l'association ou du commerce ; et le commerce prend des accroissements en même temps que se développe l'individualité, et que se produisent les différences ; et moins est impérieuse la nécessité d'avoir recours aux services du soldat et du trafiquant, plus le commerce prend des accroissements rapides.
La puissance d'association augmente, en raison directe de l'observance, par les communautés sociales, de cette grande loi du christianisme qui nous enseigne le respect pour les droits de nos semblables ; et comme la force augmente avec le développement de l'association, il suit de là naturellement que la nation qui veut croître en force, et voir durer ses institutions, doit apporter dans la direction des affaires publiques, le système de morale reconnu comme obligatoire pour ses membres pris individuellement.
Si nous voulons maintenant trouver les causes de la décadence et de la ruine définitive des diverses communautés sociales du monde, nous devons rechercher ces causes dans l'examen du système qu'elles ont suivi par choix, ou par nécessité ; soit celui qui tend à augmenter la proportion des classes de la société dont nous avons parlé plus haut, soit celui qui tend à diminuer cette proportion ; et, dans tous les cas, nous constaterons ce fait que : tandis que le premier a entraîné avec lui la ruine et la mort, le second a amené l'accroissement de la richesse, de la prospérité, du bonheur et de la vie.