FRANKLIN DELANO ROOSEVELT
COMBATS POUR DEMAIN
CHAPITRE PREMIER - Dernière partie
Démocratie et Liberté
« AYANT SAISI NOS ARMES POUR DÉFENDRE LA LIBERTÉ, NOUS NE LES DÉPOSERONS POINT AVANT QUE LA LIBERTÉ NE SOIT DE NOUVEAU A L'ABRI DU DANGER »
Aucune date de la longue histoire de la liberté n'est plus chère aux individus et aux peuples que l'amour de cette liberté anime, que la date du 15 décembre 1791. Ce jour-là, il y a de cela 150 ans, une nation nouvelle, qui venait d'élire un Parlement, adopta une déclaration des droits humains qui a influencé la pensée de l'humanité entière, d'un bout à l'autre du monde.
Il n'est pas une république sur le continent américain qui n'ait adopté dans ses lois fondamentales les principes essentiels de la liberté humaine et de la liberté spirituelle, tels qu'ils ont été mis en vigueur dans le « Bill of Rights » des Etats-Unis d'Amérique.
Il n'y a pas un pays sur ce continent, grand ou petit, qui n'ait subi directement ou indirectement l'influence de ce document.
En vérité, avant 1933, le monde reconnaissait, du moins en principe, la valeur fondamentale de notre « Bill of Rights ». Même aujourd'hui, à l'exception de l'Allemagne, de l'Italie et du Japon, les différentes nations du monde — ou en tous cas les quatre cinquièmes d'entre elles — en reconnaissent les principes, les leçons, et les glorieux résultats.
Mais, en 1933, une clique politique vint au pouvoir en Allemagne, une clique qui n'accepta pas la validité des déclarations du « Bill of Rights » ; une petite clique d'ambitieux, de politiciens sans scrupules, dont le programme officiel et reconnu était précisément de détruire les droits proclamés par ce document. En vérité, tout le programme, tout le dessein de ces tigres politiques et moraux consistait uniquement en ceci : abolir sur toute la terre les résultats de la grande révolution des libertés humaines dont notre « Bill of Rights » est la charte la plus ancienne. Les vérités qui allaient de soi pour Thomas Jefferson et qui sont allées de soi pour les six générations d'Américains qui l'ont suivi — ces vérités étaient odieuses à ces hommes. Les droits à la vie, à la liberté, à la poursuite du bonheur, droits qui semblaient à Jefferson et qui nous semblent, à nous, inaliénables, n'étaient, pour Hitler et ses partisans, que des mots vides de sens qu'ils se proposaient d'abolir à jamais.
Pour remplacer les droits inaliénables de Jefferson, les Nazis avançaient les propositions que voici :
Aucun homme, en tant qu'individu, n'a le moindre droit du fait de sa qualité d'homme.
Aucun homme, en tant qu'individu, n'a le moindre droit à posséder une âme qui lui soit propre. Il n'a pas même le droit de vivre où il lui plaît et d'épouser la femme qu'il aime.
L'individu n'a qu'un devoir, celui d'obéir, mais non point à son Dieu, non point à sa conscience ; obéir, mais à Adolphe Hitler. L'individu n'a de valeur qu'en tant qu'il est une composante de l'État hitlérien, il n'a point de valeur en tant qu'homme.
Pour Hitler, l'idéal du peuple tel que nous le concevons, le peuple libre, responsable, qui se gouverne soi-même, est un idéal incompréhensible.
Pour Hitler, le peuple ce sont « les masses », et le plus haut degré de l'idéalisme humain, c'est, pour reprendre les propres mots du Führer, de souhaiter devenir « un grain de poussière » dans cet ordre de « la force » qui modèlera l'univers.
Pour Hitler, le gouvernement tel que nous le concevons est une conception impensable. Pour lui, le gouvernement n'est pas le serviteur, il n'est pas l'instrument du peuple, mais il est le maître absolu qui peut imposer à chacun ses moindres actes.
Pour Hitler, l'Église telle que nous la concevons est une monstruosité qu'il faut détruire par tous les moyens disponibles. L'Église nazie doit être « l'Église Nationale... au service absolu et exclusif d'une seule doctrine, d'une seule race, d'une seule nation. » Pour Hitler, la chose la moins concevable, la plus odieuse et la plus redoutable, c'est que les hommes soient libres de penser comme ils le veulent, de parler comme ils le veulent, d'honorer Dieu comme ils le veulent.
Tel est l'enjeu de notre époque, l'enjeu de cette guerre où nous sommes engagés : il s'agit de savoir si les nations honnêtes et qui se respectent elles-mêmes seront contraintes d'accepter les dogmes agressifs de cette nouvelle tentative pour ressusciter la barbarie ; si elles seront contraintes de revenir à la tyrannie à laquelle on les invite. Il s'agit de savoir si les Nazis réussiront à imposer aux peuples de la terre la doctrine de l'obéissance absolue, du gouvernement dictatorial, de la suppression de la vérité, de l'oppression des consciences, toutes choses que les nations libres de la terre ont depuis longtemps répudiées.
Ce qui nous menace actuellement, c'est, ni plus ni moins, un effort pour jeter bas et pour abolir l'essor puissant des libertés humaines, dont notre « Bill of Rights » est la charte fondamentale ; pour contraindre les peuples de la terre, et notamment les nations américaines, à reconnaître de nouveau l'autorité absolue et le gouvernement despotique dont ils ont été délivrés il y a bien, bien des années, par le courage, la résolution, les sacrifices de leurs aïeux. Cet effort ne pourrait réussir que si ceux qui ont hérité le don de la liberté avaient perdu les qualités viriles qui seules permettent de la conserver. Mais nous autres Américains, nous savons que la génération présente est aussi ferme et assurée dans sa résolution de sauver la liberté, que le fut la génération américaine par qui cette liberté fut conquise jadis.
Aucune menace, aucun péril ne nous fera livrer les garanties que nous donne la liberté que nos aïeux ont formulée pour nous dans notre « Bill of Rights ». Avec toute la passion dont nos coeurs sont capables, nous tiendrons ces promesses qui engagent l'esprit humain.
Nous prenons la résolution solennelle de faire en sorte qu'aucune puissance, aucune combinaison de puissances terrestres ne puisse nous faire lâcher prise.
Et nous prenons, à la face du monde, l'engagement mutuel que voici :
Ayant saisi nos armes pour défendre la liberté, nous ne les déposerons point avant que la liberté ne soit de nouveau à l'abri du danger dans le monde où nous vivons. C'est pour cela que nous prions, c'est pour cela que nous agissons, — maintenant et à jamais.
L'ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE WASHINGTON
Notre pays, que Washington contribua si puissamment à créer, combat aujourd'hui sur la terre entière afin que nous-mêmes et nos enfants puissions conserver la liberté que Washington contribua si puissamment à nous donner. Puisque nous célébrons l'anniversaire de la naissance de Washington, rappelons-nous comment il se conduisit au milieu des plus grandes adversités. Parce qu'il accomplit beaucoup, nous avons tendance à oublier ses jours d'épreuves.
Pendant toute la révolution, Washington commanda une armée dont l'existence même en tant qu'armée n'était jamais assurée d'une semaine à l'autre. Certains de ses soldats, et parfois des régiments entiers, ne pouvaient ou ne voulaient sortir des frontières de leur état. Parfois, en des moments critiques, ils décidaient de revenir chacun chez soi, afin de faire les labours, ou de rentrer les récoltes. Une grande partie de la population coloniale, ou bien était opposée à l'indépendance ou bien, pour mettre tout au mieux, refusait de faire les grands sacrifices personnels nécessaires à cette fin.
Ils étaient nombreux dans chaque colonie ceux qui voulaient bien collaborer avec Washington, mais pourvu qu'ils puissent dicter les termes de cette collaboration.
Durant la guerre de la Révolution, plus d'un Américain n'eut que sarcasmes pour les principes mêmes de la Déclaration d'Indépendance. Ce n'était pas « pratique », disaient-ils ; c'était « idéaliste », de prétendre que « tous les hommes sont créés égaux, et sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables ».
Les sceptiques, les cyniques du temps de Washington, ne croyaient pas que des hommes et des femmes ordinaires fussent capables de vivre librement en se gouvernant soi-même. Ils prétendaient que la « Liberté » et l' « Égalité » n'étaient que des songes creux et nullement réalisables, tout de même qu'aujourd'hui, nombreux sont les Américains qui n'ont que sarcasmes pour notre résolution de libérer les hommes de la misère et de la crainte ; on nous dit aussi que ce sont là idéaux irréalisables. On dit qu'il est dans l'ordre du monde qu'il y ait des pauvres et des guerres.
Ces gens-là me rappellent ceux qui trouvent à redire aux Dix Commandements parce que certaines personnes ont l'habitude d'en violer un ou plusieurs.
Nous autres Américains d'aujourd'hui, nous savons que la Révolution se serait soldée par un échec si George Washington n'avait pas eu la foi, une foi qui l'emporta sur les zizanies, la confusion, et les doutes entretenus par les sceptiques et les cyniques.
Lorsque des livres d'histoire nous parlent de Benedict Arnold, ils omettent par bienveillance des douzaines d'autres Américains, qui, sans le moindre doute, étaient eux aussi coupables de trahison.
Nous savons que ce fut la simple foi de Washington qui lui permit de s'en tenir à son principe essentiel : en premier lieu les choses de première importance. C'est parce qu'il avait un juste sens des proportions, que lui-même et ses partisans purent négliger les difficultés mineures et se concentrer sur les objectifs les plus importants. Les objectifs de la Révolution Américaine étaient si vastes (en fait ils étaient illimités), qu'ils sont aujourd'hui au nombre des objectifs primordiaux du monde civilisé tout entier.
Ce fut la foi de Washington, et ce furent, outre cette foi, son espérance et sa charité qui inspirèrent l'élan montré à Valley Forge, et de la prière faite sur ce champ de bataille.
Les Américains du temps de Washington étaient en guerre. Nous autres Américains d'aujourd'hui, nous sommes en guerre. Les Américains du temps de Washington furent souvent menacés de la défaite. Nous aussi, nous avons été menacés par des revers et par des infortunes — qui nous menacent encore.
En 1777, après notre victoire de Saratoga sur l'armée du général Burgoyne, des milliers d'Américains lancèrent en l'air leurs chapeaux et proclamèrent que la guerre était pratiquement gagnée, qu'ils allaient pouvoir retourner à leurs occupations du temps de paix, à la « normale ».
Aujourd'hui, les grandes victoires remportées sur le front russe ont induit des milliers d'Américains à lancer en l'air leurs chapeaux, et à proclamer que la victoire est là, juste au coin de la rue.
Il en est d'autres parmi nous qui croient encore aux miracles. Ils oublient qu'il n'y a plus de Josué parmi nous. Nous ne pouvons plus espérer que de grands murs s'écrouleront en poussière lorsque les trompettes retentiront et, que les populations pousseront des cris.
Il n'est point assez d'avoir la foi et d'avoir l'espérance. Washington lui-même montra par son exemple quel était notre autre grand besoin.
Je voudrais que tous tant que nous sommes, nous puissions vivre, penser et contrôler nos langues ainsi que le fit le père de notre pays, qui cherchait, jour après jour, à se conformer à ces célèbres versets :
La plupart d'entre nous cherchent à vivre conformément à ces préceptes, mais il en est parmi nous quelques-uns qui les ont oubliés. Ceux-là sont les Américains dont les paroles et les écrits sont trompetés par nos ennemis pour persuader les peuples faiblissants d'Allemagne, d'Italie, et leurs captifs, que l'Amérique est désunie, que l'Amérique sera coupable d'infidélité dans cette guerre, et qu'elle permettra ainsi aux puissances de l'Axe de contrôler cette terre.
Peut-être convient-il, en ce jour, de vous lire quelques-unes de ces paroles qui furent prononcées il y a bien, bien longtemps, paroles qui ont contribué à former le caractère et à modeler la carrière de George Washington :
Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux !
Heureux les affligés, car ils seront consolés !
Heureux les débonnaires, car ils hériteront de la terre !
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ! Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde !
Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu !
Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu !
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux !Heureux serez-vous, lorsqu'on vous outragera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi.
AUX ANCIENNES LIBERTÉS NOUS DEVONS EN AJOUTER DE NOUVELLES
La crise contemporaine de la démocratie réclame une appréciation neuve de nos vieilles libertés et le réajustement de leur véracité aux conditions du jour. Le N.R.P.B. (National Resources Planning Board*), dans son rapport au Congrès, a préconisé que les anciennes libertés soient élargies pour y inclure de nouveaux points. Ci-après, les dix premiers amendements à la Constitution et les nouveaux points suggérés.
I. DÉCLARATION DES DROITS
ART. I. Le Congrès ne fera pas de loi traitant des établissements religieux, ou en interdisant le plein exercice, réduisant la liberté de parole ou de presse, ou le droit des gens à se réunir et à adresser au Gouvernement des pétitions en vue d'obtenir satisfaction.
ART. II. Une milice disciplinée étant nécessaire à la sécurité d'un État libre, le droit d'avoir et de porter des armes sera maintenu.
ART. III. Aucun soldat, en temps de paix, ne pourra être cantonné chez l'habitant, sans le consentement de celui-ci ; il ne pourra l'être en temps de guerre que de la façon prévue par la loi.
ART. IV. Le droit du peuple à des garanties concernant la personne, le domicile, les papiers et les biens, contre des fouilles et des saisies abusives ne sera pas violé, et il ne sera donné de mandat que pour des motifs plausibles, ressortant de serments ou déclarations décrivant en particulier l'endroit à fouiller, ainsi que les personnes et les choses dont on doit s'assurer.
ART. V. Nul n'aura à répondre d'un crime capital ou infamant, à moins de présentation ou d'accusation par un grand jury, sauf pour les cas se produisant dans les armées de terre et de mer, ou dans la milice en période d'activité, en temps de guerre ou de péril public ; nul ne pourra être jugé deux fois pour une même faute ; nul ne pourra être mis à mort, emprisonné ou privé de ses biens, sans procès régulier ; la propriété privée ne pourra être utilisée pour le bien public sans une juste compensation.
ART. VI. Dans toutes les causes criminelles, l'accusé aura droit à un jugement rapide et public, rendu par un jury impartial de l'Etat ou du district du lieu du crime, district qui aura été au préalable délimité par la loi. Il aura droit à être averti de l'accusation portée contre lui et de ses bases, à utiliser un système de contrainte pour faire venir des témoins, à avoir un conseil pour sa défense.
ART. VII. En matière civile, dans les affaires dont le montant sera de plus de 20 dollars, le droit de faire appel au jury sera maintenu et aucun fait jugé par le jury ne devra être réexaminé dans aucune cour des États-Unis, si ce n'est conformément aux règles du droit.
ART. VIII. On ne demandera pas de caution excessive ; on n'infligera pas d'amendes trop lourdes ; il ne sera pas fait usage de peines cruelles ou inhabituelles.
ART. IX. L'énumération de certains droits par la Constitution ne sera pas interprétée pour en nier ou en diminuer d'autres détenus par le peuple.
ART. X. Les pouvoirs qui ne sont pas donnés aux États-Unis par la Constitution ou dont l'exercice n'est pas interdit par elle aux États, appartiennent respectivement aux États ou au peuple.
II. NOUVEAUX POINTS PROPOSÉS PAR LE N.R.P.B.
1. Droit au travail utile et productif durant les années où l'homme est dans sa force.
2. Droit à un juste salaire, susceptible de payer les nécessités et les plaisirs de la vie en échange de travail, d'idées, d'économies, ou autres services socialement utiles.
3. Droit à une nourriture appropriée, au vêtement, au logis, aux soins médicaux.
4. Droit à la sécurité, à la libération de la crainte de la vieillesse, du besoin, de celle d'être à charge, de la maladie, du chômage, des accidents.
5. Droit de vivre dans un régime de libre concurrence, sans travail obligatoire, sans pouvoirs particuliers irresponsables, sans autorité publique arbitraire, sans monopoles non réglementés.
6. Droit d'aller et venir, de parler et de se taire, sans le contrôle des espions d'une police secrète politique.
7. Droit à l'égalité devant la loi, avec en fait une égale possibilité de recours à la justice.
8. Droit à l'éducation en vue du travail, en vue de la vie publique, en vue de la culture personnelle et du bonheur.
9. Droit au repos, à la distraction, à l'aventure ; possibilité de profiter de la vie et d'avoir sa part du progrès de la civilisation.
* : Bureau de plannification des ressources nationales